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Niger

Bintou


Bintou aura été le véritable amour de ma vie.
Je la rencontre peu après la fin de mon contrat au Niger. Plutot que de rentrer dare-dare en France, je m’octroie quelques vacances à Niamey où je me suis fait tant d’amis; mais aussi quelques ennemis…Awa est donc partie vers d’autres horizons, me laissant seul, un peu sonné, célibataire mais bien décidé à profiter de cette liberté retrouvée, avec par exemple les grenouillettes (terme amical..) de la Cascade.

Amical, comme les paroles de cette chanson de Marco, agrégé en sociologie, « jeunes, villes, emploi ».
Et « grenouillettes »:

Un soir j’ai croisé devant la Croisette
Une grenouillette
Je l’ai abordée, Wallaye!
Je l’ai abordée, Ohé, Ohé

Sa jupette était au seuil de rupture
Et sa devanture
Prête à éclater, Wallaye!
Prête à eclater, Ohé Ohé

Je l’ai emenée sur ma mobylette
jusqu’à ma chambrette,
Derrière Gamkale, Wallaye!
Derrière Gamkale, Ohé, Ohé

On s’est amusé au pipo magique
Au grand élastique
Et au tourniquet, Wallay!
Et au tourniquet, Ohé, Ohé

Le regard bordé de reconnaissance,
Par tant de jouissance,
Elle m’a dit quel pied, Wallaye !
Elle m’a dit quel pied, Ohé Ohé

La moralité de cette chansonnette,
C’est que les grenouillettes,
Aiment bien faire l’amour, Wallaye!
Aiment bien faire l’amour, Ohé Ohé.

Wallaye est une expression populaire qui renforce avec vigueur une assertion.

Notre rencontre

Pour ma part j’ai effectivement rencontré Bintou à la Croisette. Alors que je venais de m’asseoir dans le jardin et de commander une « conjoncture »
(surnom de la bière qui permettait d’en oublier momentanément les embarras), une petit groupe de quelques filles jeunes, ou moins jeunes, viennent s’assoir à mes cotés. En fait certaines d’entre elles me connaissent, et savent pertinemment que la place d’Awa est vacante, donc à prendre.
Donc, je passe commande de quatre conjonctures. Pour la plus hardie, il s’agit de me brancher. Bon, nous discutons sur tout et rien, et mine de rien justement des affinités apparaissent: ainsi je suis charmé par la beauté du visage de Bintou la plus jeune, et ça se voit, et elle le voit, et toutes le voient.
La stratégie de leur groupe à marché à fond: maintenant que nous sommes connectés, les trois autres se lèvent, me remercie pour la bière et s’éparpillent dans le jardin, à la recherche d’un autre contact.
Je reste seul avec Bintou et je me sens bien. Tant et si bien que nous passons toute la soirée ensemble. Bintou me paraît vive, concernée, assez jeune pour avoir encore cette timidité d’où émerge, ça et là, des éclairs de spontanéité, cette fraîcheur de l’adolescence. Elle est vivante, très vivante.
Puis c’est entre nous deux, par la danse le premier contact charnel. Un slow cheek to cheek (joue contre joue).Nous retournons nous asseoir et sommes déjà plus proches, plus détendus (quoique..). Elle m’emmène faire le tour de l’établissement, et me présente à toutes ses copines (dont je connais certaines) et toutes semblent heureuses de voir Bintou casée avec moi…
Puis c’est l’heure de rentrer à la maison, et nous rentrons ensemble. Mais avant de s’amuser au pipeau magique, au grand élastique et au tourniquet, elle arrive à vaincre sa timidité pour me chuchoter à l’oreille

Son message intime:


« Xavier, si tu veux nous allons rester ensemble, je suis d’accord pour vivre avec toi, mais vivre sérieusement avec toi. Tu sais, j’ai eu une jeunesse très difficile: j’avais 14 ans, et mon père, qui élève des vaches, m’envoyait distribuer le lait jusqu’aux cases du village, avec la calebasse sur la tête. Ses clients ne se sont pas toujours bien comporté avec la petite fille que j’étais.
Et je suis partie, j’ai quitté mon père et ma mère et je vis depuis plusieurs années chez ma tante dans un village éloigné. Mais depuis, je me sens fragile, très fragile, et si tu n’est pas sérieux avec moi, alors je serai brisée parce que je suis très fragile. Restons ensemble, mais s’il te plaît, promets moi que tu feras attention à moi. Promets moi que tu ne me trahira pas ».

Notre mariage

C’est promis, et je vais commencer par la réconcilier avec son père, et sa mère en lui rendant visite au village de Kollo Jerma, situé sur le fleuve. J’explique que je voudrais épouser leur fille; alors le père acquiesce et signe une lettre écrite certifiant qu’il approuve ce mariage. Ceci pour permettre à sa famille de voyager hors du Niger, sans encombre. Et deux semaines après je passais l’alliance au doigt de Bintou, à la mairie de Niamey, en présence de tous mes amis et d’une délégation parentale venue de Kollo, accompagnée d’une nuée d’enfants. Le papa ne m’avait pas demandé de me convertir à l’Islam, mais cependant j’ai fait un don à la Mosquée.
A la sortie de la mairie nous avons été aspergés de grains de riz, et une grande et luxueuse Ford Impala, décapotable, blanche avec des coussins rouges nous attendait, avec Sido en costard au volant.
Pour la petite histoire, c’était la voiture de l’ex-président Kountché, que mon ami Jacques Lacourt avait racheté au Palais, et remise en état .
A ma demande, Michel « haricot vert »était allé me trouver quelques liasses de billets de 500 CFA, que, debout et tourné vers l’arrière je projetais au vent vers la nuée de gamins, jeunes mais aussi moins jeunes, qui courraient derrière nous. Nous avons festoyé entre nous à la Cascade, que Jean Pierre avait barricadée, à cause des gamins du cortège. Les parents et leurs amis ont été invités dans le même temps à la seule Pizzeria du Niger, dont Jean Pierre était également propriétaire.
Avant notre repas de noce, nous nous y sommes rendus pour saluer touts nos invités.
Et conformément à la tradition, un buffet de dessert avait été dressé sur une grande table, à la Cascade. C’était assez spectaculaire de voir une cinquantaine d’enfants se ruer sur les gâteaux qui furent nettoyés en un clin d’oeil.

Fin de contrat

Attention avec la fin de ce contrat, c’est aussi la fin des avantages qui s’y ratachent:

Soit sur l’air de adieu, veaux, vaches, cochons:

« Adieu villa, piscine carrelée et climatisation
Jardin fleuri, chaises longues et bar bien garni
Antenne satellitaire de trios mètres de diamètres
Adieu Toyata Hilux et chauffeurs dévoués
Bye, bye gardiens armés et enturbanés
Bye, bye jardinier, piscinier, cuisinier
Bye, bye collaborateurs actifs ou parfois oisifs
Bye, bye Société des eaux et tes beaux bureaux ».

Il me reste ma moto Ténéré 600 et mon casque intégral,
mes amis de la Cascade , et les gazelles de la Croisette, et un coeur gros comme ça… et un compte en banque, pareil. Je bénéficie de tous ces avantages encore quelques jours, puis je quitte la villa, que l’entreprise va louer pour ses chefs de nouveaux chantiers. Et lorsqu’ils arrivent, je leur chante sur l’air du temps béni des colonies, de Michel Sardou:

« Moi Messieurs j’ai fourni de l’eau, Dakar, Conakry, Bamako
Moi, Messieurs j’ai eu la belle vie, au temps béni chez nos amis
J’en ai gagné des XOF au temps béni de l’AOF
J’avais mon compte bien garni, au temps béni des colonies! »

Et j’ajoutais finement:

« Moi Messieur j’ai tué des panthère, à Tombouctou sur le Niger
Et des rhinos dans l’Oubangui, au temps béni des colonies,
Autrefois à Madagascar, j’avais des tas de serviteurs noirs,
Et sept filles dans mon lits, au temps béni-iiii des colonies »

Après deux années de bonheur passé dans la villa de Kouara Kano, me voilà au chômage et je déménage, vers le centre-ville, à proximité du palais présidentiel. Cette une zone où la sécurité est bien assurée. Après les libations du soir, pour rentrer chez moi, j’emprunte le dernier tronçon de route avec en ligne directe, droit dans mes yeux, le violent éclairage d’un projeteur installé sur le toit du palais. Pour la sortie ouest de Niamey, il y avait deux voies en ligne droite qui encadraient le palais présidentiel. L’axe principal passait devant son entrée majestueuse, encadrée par deux guérites, avec des soldats en arme (des kalachnikovs)                                                  . 
Et il y avait aussi une déviation, plus étroite, par l’arrière ; elle était empruntée de fait par la quasi-totalité des véhicules quittant la capitale, car s’il n’y avait pas d’interdiction absolue de passer devant le palais, il était par contre interdit d’y stationner. L’éventualité d’une panne sur ce tronçon était peu probable, mais sait-on jamais ? Aucun signalement, aucun panneau indicateur à l’entrée de ce tronçon fatidique…On raconte qu’un jour, il y a deux ou trois ans, un couple de touristes, avec leurs enfants, arrivant au Niger en 2CV Citroën, avait emprunté la voie directe et se serait de plus arrêté, un pneu crevé, à proximité de l’entrée du palais. Le plus jeune des militaires de garde, s’était alors avancé vers la voiture, en mitraillant sans sommation toute la famille.                                 . 
C’est pour ce genre de « détail », qu’un expatrié arrivant en Afrique a besoin d’un chauffeur local qui lui évitera bien des embrouilles. Ainsi, au Tchad, il faut quitter l’axe principal et passer par la Medina pour éviter le palais du président Idriss Deby,  et au Togo en arrivant à la place de la Colombe (une jolie statue) il ne faut surtout pas continuer en face, ça mène au palais du président Eyadema.

Dès le début de ma rencontre avec Bintou, une agence nous dégotte assez vite une villa sympathique à proximité du palais. Elle est la propriété d’un ministre touareg, avec lequel j’entretiens d’emblée une relation empreinte de cordialité.
Il se présente : Ministre en charge des relations avec les Touaregs.
Et moi : « chômiste » depuis peu, repris de justesse. Et je lui parle de ma connaissance des pays d’Afrique, et des éminentes fonctions que j’y ai occupé. Je lui présente aussi Bintou, ma récente épouse et sa compatriote. Bla, bla, bla.
Sa villa nous convient tout à fait, avec une piscine (pleine de sable) et un vaste jardin de type sahélien : le sol y est pauvre, car constitué essentiellement de sable de dune, avec très peu de végétaux. La végétation est ligneuse éparse et clairsemée à dominances mimosacées. Elle est cependant propice à l’élevage, puisqu’au fond du jardin, un chameau broute les feuilles et des épines d’acacia Bon appétit !

A l’intérieur tout l’équipement moderne, en bon état de fonctionnement. Nous signons le contrat de location et avec Bintou, nous investissons la villa. 
Le propriétaire fait un signe au chauffeur, resté dans sa Mercédès.
Il arrive avec à la main une djellaba bleu foncé qu’il remet à son patron, lequel va se changer dans le vestibule.  Mr. le Ministre va récupérer son dromadaire, le monte, et s’en va, s’éloignant à la souplesse silencieuse de l’amble.

Mon fidèle Sido, nous aide à transporter les valises, et nous prenons place dans notre nouvelle demeure. Dès le lendemain matin, j’embauche du personnel pour vider la piscine, puis un spécialiste piscinier pour la mettre en route. Et je fais livrer un camion de terre végétale pour constituer un magnifique parterre de gazon parsemé de massifs de fleurs multicolores. Nous passons là des jours heureux, Bintou avec ses copines, souvent hébergées chez nous ; ça crée une ambiance légère, amicale et décontractée : Des jeunes femmes-filles (filles-femmes ?), élancées, évanescentes, vont et viennent, çà et là, nageant dans la piscine et faisant la cuisine. Mes amis motards (Marco) et autres sont nos invités permanents et font parfois, parmi les volutes de fumée odoriférante de bien agréables rencontres. Bintou est contente parmi les siennes, et moi je suis content, bien content qu’elle le soit.  Mais le temps passe, et il faut bien que je m’occupe de trouver un nouveau Job. Mercenaire du développement en avant !
L’Afrique est secouée par les évènements du Rwanda, les hutus massacrent les Tutsi et les missions internationales partenaires au développement ont lâchement déserté l’Afrique des Grands Lacs. L’assistance humanitaire s’installe donc à Bujumbura, la capitale du Burundi, à la frontière du Rwanda. Pour ma part, je contacte le HCR et après signature d’un nouveau contrat je m’envole de Genève vers Bujumbura où le HCR a établi son quartier général.
quant à Bintou, elle retourne chez sa mère à Kollo Jerma. La Qituation au Rwanda est très mauvaise, mais dès que je suis installé, je lui fait émettre un billet à Niamey, destination Bujumbura, pour me rejoindre dans la zone des Grands Lacs.




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