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Guinée Janv. 1990

Guinée 1 1990-91 46 ans
Aéroport de Conakry
J’arrive par avion, vers 22h à Conakry. Il fait une chaleur lourde et humide et il me faut un bon moment pour passer les formalités. Il y a foule dans le bâtiment, vétuste de l’aéroport. Je suis tout de suite étonné de l’autorité et du comportement inamical des douaniers. Néanmoins l’expérience du dialogue avec « les autorités » que j’ai acquise pendant quatre années au Sénégal, me permet de parvenir sans encombre au bout de cette première épreuve. Une certaine décontraction, des inférences communes, mes références africaines que je ne manque jamais d’évoquer, et mon passeport bleu des Nations Unies: me voilà reconnu comme un expert et un grand patron. Je peux leur parler avec un mélange de respect et d’impertinence, l’un faisant passer l’autre.
J’identifie mon chauffeur dans la salle d’attente, grâce au logo du HCR, agité au bout d’une perche. Il s’agit de Mustapha Fodé, chauffeur du Représentant du HCR, qui m’accompagnera à maintes reprises dans ma longue mission…. près de deux années.
D’emblée, nous discutons, sans protocole dans le rutilant et luxueux 4×4, flanqué d’un drapeau diplomatique. Je retrouve ici une ambiance africaine que je connais bien. Cette connaissance me donnera souvent une longueur d’avance sur mes collègues du HCR, qui en face des difficultés à résoudre, se noyaient parfois dans un verre d’eau.
Et franchement cette ambiance, me mettait à l’aise, me sécurisait, et rassurait aussi mes interlocuteurs guinéens: je leur parlais comme ils avaient l’habitude d’entendre. Et non pas comme un expert blanc parachuté chez eux, qui ne pouvait arriver à les comprendre.
Du coup, j’avais aussi une facilité à identifier rapidement les problèmes, et de ne pas passer à côté des solutions…
Il est une heure du matin, Fodé se gare à l’hôtel, saisit ma valise, m’accompagne à la réception, et monte jusqu’à ma chambre pour s’assurer que tout est OK (en particulier au niveau sécurité).
Bonne nuit, et rendez vous demain à 18 h.
Maintenant, c’est la nuit de samedi à dimanche. Repos, rideau, dodo.

Les deux gazelles
Réveil, aujourd’hui c’est dimanche. Tout va bien, c’est la belle vie qui recommence.
Après le p’tit dej., piscine au bord de la mer, un peu de nage…bla, bla,bla. J’ai oublié et on s’en fout! Par contre, ce que je n’ai pas oublié, c’est après le repas et la sieste, le monde qui bronze autour de la piscine, et particulièrement deux superbes gazelles que je détaille de loin avec attention. Mais en détaillant, on attire fatalement le regard des autres. Je deviens…. l’observateur observé! Il est temps pour moi de transcender cette dualité, en m’harmonisant physiquement et mentalement avec ces partenaires potentielles. Je m’approche, présentations, sourires et discussions, je leur offre un verre, sans alcool et nous continuons à bavarder. Nous avons tellement à apprendre, moi d’elles et de leur pays, elles de moi et du HCR; nous sommes vraiment sur la même longueur d’onde.
Puis il est temps de concrétiser, je choisis la plus belle, mais elles sont belles toute les deux, et lui donne mon numéro de chambre. Enfin, je me lève et me dirige vers le lieu de rendez vous. Je referme la porte et j’attends. Cinq minutes passent, un petit toc toc, et la gazelle, à mon invite prend une douche chaude et s’étend sur le lit à mes cotés. Passons les détails…ce fût un bon moment: l’unification physique et mentale entre partenaires était réussie.
Nous discutons un moment, le pays encore, la famille..etc et je suis vraiment sous le charme. Pour finir, je la gratifie d’un billet rouge, et je somnole pendant une petite heure…retour à la piscine, ma conquête est partie mais son amie est toujours là. Discussion, bain, massage relaxant, et je lui fais la même invitation qu’à sa copine.
Pas la peine de donner les détails, c’était vraiment pareil. D’ailleurs ces deux gazelles sauvages, elles étaient sœurs. Elles étaient vraiment des bonnes sœurs! et m’avaient même parlé, du fond du cœur, de leur troisième sœur.
Quelques semaines plus tard, j’ai eu l’occasion de lier connaissance avec la troisième de ces bonnes sœurs…Elle était la meilleure. Avec une ligne de hanche somptueuse.
Comme le chantait Michel Sardou:
« Entre le gin et le pénis, les réceptions et le pastis…
On se serait cru au paradis, …iiiiii,
au temps béni des colonies….iiiiii ».

Bref, cette première journée d’expert aux Nation Unies, fût une belle prise de contacts. En toute discrétion.
Quoique j’ai eu l’impression que d’autres experts, allongés autour de la piscine, n’avaient rien manqué de la partie visible de notre petit manège triangulaire!
Olé! 😏😄

Chez Madeleine.
Le soir, le chauffeur me dépose « chez Madeleine » le restau le plus fréquenté de Conakry. Les étrangers y sont majoritaires, surtout ceux du monde humanitaire. Pas étonnant: dès qu’une catastrophe humanitaire survient où ce que se soit, les experts et volontaires des UN, des PTF (nouveau sigle, élégant, des bailleurs de fonds transformés en Partenaires Techniques et Financiers), et des ONG pullulent dans les hôtels de la capitale, comme les mouches attirées par de la (?)….
Une tartine de miel! 😏.
Je suis enchanté, et je le dis, de faire connaissance avec M. Coat, ex-DG de L’ONI (Office National de l’Immigration), ici représentant officiel du HCR (avec rang d’ambassadeur), avec sa secrétaire et un logisticien. Notre petite équipe démarre donc le « Programme d ‘assistance aux réfugiés du Liberia et de Sierra-Leone. »
Pendant le repas nous nous présentons les uns aux autres. Chacun décrit son expérience et M. Coat nous impressionne beaucoup en nous parlant du camp de réfugiés de Péshawar, au Pakistan. Un million de réfugiés! Il en a été le directeur pour le HCR, pendant un an. Il nous parle de sa satisfaction d’avoir réussi, avec la coopération bien organisée, des grandes ONG internationales, à accomplir sa tâche sans trop de difficultés. Sa secrétaire, qui est libanaise et permanente au HCR, à Genève nous indique qu’elle intervient surtout pour le démarrage des programmes humanitaires. Le logisticien nous informe enfin que c’est là, sa deuxième mission; quant à moi je déclare avec fierté et un peu de morgue, que je ne connais rien de l’Humanitaire! Et je leur parle de mon expérience africaine de quatre ans, récemment acquise comme DG de la Société Nationale de forage du Sénégal.
Curieusement, je les sens rassurés d’avoir dans l’équipe un habitué des africains et je réalise, qu’ils devaient se sentir un peu isolés dans le contexte si particulier, et un peu hostile (mais chez les « autorités » uniquement), de la Guinée. Contexte que j’avais pour ma part ressenti, dès l’arrivée à l’aéroport.
Puis M. Coat me parle d’une réunion récente qu’il a eu au Ministère de l’hydraulique. Interdiction de faire passer sur les ponts, tous en bois de la province de la Guinée Forestière, des équipement de plus d’une tonne! Je fais état de ma consternation, puisque un atelier de forage complet pèse environ 15 tonnes! Et là, M.Coat me réitère l’ordre du Ministre. « Vous n’avez qu’à creuser des puits àla pelle ». Facile à dire, mais à la pelle pour 400.000 réfugiés, faut le faire!
Bon je dis, oui, j’ai bien compris, OK, j’abandonne les forages. Tout en sachant très bien, en mon for intérieur que « Oui, je les ferai quand même ». Aux UN, on ne contredit pas un diplomate, de surcroît Chef de Mission.
Cependant ma première mission était de lancer un appel d’offres interrégional pour la réalisation de 19 forages d’eau potable.
En fait 19 seulement, c’était un test. Après on verrait bien.

Le HCR
Etant missionné par le Haut Commissariat aux Réfugiés des Nations Unies (le HCR), j’étais le coordinateur de l’alimentation en eau potable des camps de réfugiés et donc je coopérais avec des organisations humanitaires telles que: Médecins sans frontières, Ingénieurs sans frontiére, Médecins du monde, Association internationale contre la faim, Première urgence…etc. Ces ONG, sous contrôle et coordination du HCR gèrent les camps de réfugiés: eau potable, nourriture, habitat, hygiène et santé.
Les opérations humanitaires sont financées par les bailleurs de fonds cités plus haut, mais aussi par leurs fonds propres collectés lors de campagnes de sensibilisation grand public (fund raising in english).
Et le HCR assure la coordination générale avec d’autres agences des Nations Unies qui s’associent aux programmes d’assistances au réfugiés du monde entier:
– Le PAM, programme alimentaire mondial qui achemine la nourriture vers les camps, avec une logistique lourde,
– l’UNICEF qui assure le suivi des enfants, donc des mamans, de leur alimentation, et de leur éducation, de leur sécurité,
– l’OMS qui veille à maintenir la santé dans les camps, en construisant en particulier des latrines, un cimetière, et en contrôlant l’eau potable pour éviter la propagation d’épidémies de choléra, mortelles et effroyablement rapides. Des centaines, voire des milliers de réfugiés peuvent être emportés par le choléra en quelques jours (et parfois le personnel soignant au contact, donc très exposé). Heureusement des ONG telles MSF ou MDM savent comment juguler une épidémie de choléra en construisant des hôpitaux de fortune et en dépêchant de toute urgence des médecins bénévoles et des infirmiéres (qui quittent leur travail en métropole pour s’investir quelques semaines dans les camps): je les ai vus mettre fin à des épidémies de choléra, dans plusieurs camps de réfugiés au Zaïre.
Le HCR et les agences mentionnées missionnent leurs experts internationaux (dont moi-même) sur le terrain. Ils embauchent aussi sur place du personnel national compétent et coopérent avec les administrations et les ONG locales.
Ainsi cette opération á laquelle je participe a débuté en Guinée, avec quatre personnes (le représentant du HCR, sa secrétaire, un logisticien et moi- même) pour dépasser en six mois un total de 3000 personnes.
Autres exemples:
– le programme d’assistance aux réfugiés au Liberia était dimensionné pour 400.000 réfugiés répartis dans 20 camps.
– Le plus grand camp humanitaire du monde, á cette époque, ètait situé á Arucha en Tanzanie: 900.000 réfugiés.

L’appel d’offre a abouti à sélectionner l’antenne guinéenne d’ une entreprise allemande, internationale: Prakla Séismos, bien connue dans plusieurs pays d’afrique et présente à Conakry depuis longtemps.
Je n’ai pas eu à m’impliquer outre mesure, pour cette consultation, dont j’avais confié la réalisation au SNAPE, la Société Nationale d’Approvisionnement en Eau Potable. C’était, en effet, son attribut ordinaire.
Alors que les réfugiés du Libéria et de la Sierra Leone, fuyaient depuis quelques mois leur pays et les massacres qui s’y déroulaient, ils étaient accueillis, amicalement, à la surprise générale, par les populations des villages guinéens proches de la frontière. Pour l’année que j’ai passé en Guinée Forestière il n’a donc pas été nécessaire d’établir des camps de réfugiés. De ce fait mon rôle se limitait à l’implantation des forages, au contrôle de leur exécution et de l’installation d’une pompe manuelle en tête de chacun. Tout ceci avec l’aide du SNAPE, pour lequel le HCR avait fait construire une agence régionale à Nzékoré.

Les premiers résultats se révélant satisfaisants, leur nombre furent étendu à 100 villages, puis ultérieurement à 150 et enfin 200.
Finalement, les choses c’étaient plutôt bien passées: les villages guinéens s’étaient substitués au HCR pour l’hébergement des réfugiés et ils avaient bénéficié en retour de l’alimentation en eau potable. Par contre, il restait à construire de nouvelles cases dans chaque village, submergé par l’afflux de nouveaux réfugiés;  »
Et subsistait aussi la question sanitaire.
Les maisons en ville, les cases et les latrines dans les villages.
En ville les constructions sont réalisées en briques de banco. Crues ou cuites.
Le banco, c’est une sorte de boue obtenue en mélangeant un sol sablo-argileux avec de l’eau. Puis on a un moule en bois, que l’on remplit avec ce banco, en le tassant. Et enfin on laisse le moule plein, en plein soleil pendant plusieurs jours pour le faire sécher, et le durcir. Au démoulage on obtient donc une brique crue, qui sera l’élément de base des constructions. Selon les cas ces briques seront jointes avec un enduit sol-ciment, mais comme ça coûte trop cher les joints sont simplement exécutés avec le banco. Ce qui fait dire à Denis, mon adjoint, réfugié libérien: « these shelters are most of time, only mud with mud ». Ces abris ne sont, le plus souvent que de la boue avec de la boue. Donc pas très beaux , et pas très solides.
Le must, mais encore plus cher, c’était la brique cuite. La première étape, c’est la même, des briques en banco séchées au soleil. La deuxième étape consiste à construire dans un endroit plat et dégagé, un grand tas de briques en forme de pyramides, tout en mén-ciment, mais comme ça coûte trop cher les joints sont simplement exécutés avec le banco. Ce qui fait dire à Denis, mon adjoint, réfugié libérien: « these shelters are most of time, only mud with mud ». Ces abris ne sont, le plus souvent que de la boue avec de la boue. Donc pas très beaux , et pas très solides.
Le must, mais encore plus cher, c’était la brique cuite. La première étape, c’est la même, des briques en banco séchées au soleil. La deuxième étape consiste à construire dans un endroit plat et dégagé, un grand tas de briques en forme de pyramides, tout en ménageant à l’intérieur un volume vide au centre qui servira de four, et des conduits vides intérieurs pour diffuser dans toute la masse la chaleur émise dans le four par la combustion de bois. La combustion peut durer une semaine, pendant laquelle il faudra couper du bois, pour approvisionner le four. Ça et là, en Guinée forestière, on pouvait voir de tels pyramides ou foyers.
Les plus gros, comprenais jusqu’à 10 000 briques.

Dans le cadre du programme d’appui à la construction de cases, nous avons fourni dans la ville de Nzérékoré, des moules en bois pour réaliser les briques crues en banco, et dans les villages en forêt des coupes-coupes pour débrousser et couper des rameaux utilisés pour faire les murs.


Cette technique, nous disait-on, leur avait été enseignée, par des coopérants chinois.

La construction de cases dans les villages se fait toujours avec du banco, mais au lieu de fabriquer des briques, on le taloche à la main sur un treillis de branches qui forme la structure des murs.

Je conseille de voir le film ethnographique de l’INA « Guinée française, autour de Nzérékoré », tourné en 1956, qui en dit plus en 10 mn, sur les gens de la forêt, que je n’en puis écrire en 10 pages!
Les villages de la Guinée Forestière que je découvre 34 ans après, en 1990, se situent sur le plan du développement à mi-chemin entre ce film et les vidéos que l’on peut trouver actuellement sur You Tube. J’engage le lecteur à rechercher ces vidéos lui-même, et à les visionner, de manière à mieux comprendre le contexte humain en temps de paix – mais oh! combien inhumain en temps de guerres civiles – des missions humanitaires que j’ai pu effectuer, en 1990/91 avec le HCR, en Guinée Forestière et à Conakry.

J’avais aussi profité du fait que la piste menant en Côte d’Ivoire était en cours d’élargissement (pour le trafic, mais aussi pour sécher plus rapidement après les pluies), pour récupérer avec une centaine de réfugiés les gros bambous avant qu’ils ne soient abattus au bulldozer, à l’avancement du chantier routier. On avait donc, à Nzérékoré un bon stock de bambous bien droits qui auraient pu servir à construire des cases, ou à faire des lits, des tables, des bancs….etc, mais les réfugiés, la plupart villageois ne savaient pas comment faire.

Les latrines.
En ville, la construction de fosses septiques est courante. Mais à l’époque aucune des villes où je suis intervenu ne disposait d’un réseau d’assainissement.
Le rejet des eaux usées se fait donc dans un puit perdu. Traditionnellement, il y a dans les quartiers des puisatiers qui savent comment s’y prendre. A l’endroit fixé, il s’assoit et commence à creuser avec un pic autour de lui. Il progresse en tournant un tour complet. Puis il entame un autre tour…etc. Il ne sort pas du trou, mais y descend un peu plus à chaque tour jusqu’à atteindre la profondeur souhaitée.
Ce qui peut prendre plusieurs jours. Dans ce cas, il sort de son trou, à midi pour manger et le soir pour dormir. Il pratique des encoches dans la paroie du puits pour remonter, et remplit un couffin avec les déblais, que son assistant remonte en tirant sur la corde. Pas de moteur, pas de bruit, pas de carburant à transporter, pas de voiture, il marche à pied, juste un petit pic, un couffin, et une corde.
Nous (le HCR) fournissons tout ça.
Aprés c’est le point dur, il faut couler une dalle en béton armé pour couvrir le puits.
Nous avons passé commande à l’entreprise de forages, Prakla, rompue à la fabrication de dalles pour ses forages. Et enfin bâtir une petite cabane au dessus pour l’intimité. C’était fait par les bénéficiaires eux même selon les techniques décrites plus haut. Ces travaux étaient encadrés par des ONG internationales, notamment MSF médecins sans frontières, et MDM médecins du monde et aussi la croix rouge nationale guinéenne, reboosté par le HCR, et le CICR, la croix rouge internationale.
Le modèle agréé à l’unanimité, et par le HCR, après des mois et des mois de discussions animées, est finalement la latrine VIP (prononcé à l’anglaise: vi ail pi). Non pas Very Important Personn (elle ne s’y serait pas risqué), mais Ventilated Improved Pit, latrine améliorée et ventilée.
Tous ces programmes étaient bien lancés, soutenus par les ONG, et coordonnés par le HCR(votre serviteur) qui fournissait aussi les outils, les matériaux et les transports.

Marcelline et les Orans-outangs
Sortons un peu de la technique, que faire le soir après le job, faire marcher son job? 😋
Eh, bien la première fois que j’ai aperçu Marcelline, elle roulait en ville dans un quartier de Nzérékoré, étant camboulée, comme on dit en Provence, sur le porte bagage de la moto du capitaine du détachement militaire en Guinée forestière. Il y a toujours des militaires nationaux dans les programmes d’assistance humanitaires. Théoriquement pour protéger les ONG, pratiquement pour racketter, et bien pire, les habitants, comme nous le verrons plus loin.
Bien à l’aise dans mon 4×4, Toyota Landcruiser, à côté de mon chauffeur, Jean Guillavogué, de l’ethnie Gerzé, …par bonheur, notre chemin est contigü au sien.
Il remarque mon émoi devant cette belle jeune fille, et me dit:
« Patron, elle te plaît? Si elle te plaît je peux te la faire rencontrer ».
« Pourquoi pas, mais attention, elle est avec un militaire, qui plus est un gradé! Ça peut causer des problèmes? »
« Non, non pas de problème, je m’en occupe »
Ce que j’ignorais là, c’est qu’allait se dérouler toute une stratégie guinéenne, mais je pourrais aussi bien dire africaine, plutôt bienveillante, mais attention pas de faux pas! ». Ni d’un côté, ni de l’autre.
Jean Guilavogué, me fait donc rencontrer Marcelline, souriante, je dirais même contente, très aimable mais réservée.
Nous parlons tous les trois ensemble, bla bla bla, et en particulier de mon désir de rendre visite aux Orans-Outangs qui vivent en pleine nature, à proximité du village de Bossou, non loin d’ici.
Puisqu’elle connaît le guide, Marcelline me propose d’y aller le lendemain, mais en attendant elle voudrait me montrer quelque chose à une dizaine de kilomètres de là. Jean s’excuse, prend congé et je prends le volant, avec la beauté locale à côté de moi. Nous ne passons pas inaperçus et je note les regards surpris, parfois souriants, parfois désapprobateurs, des guinéens que nous croisons. Nous sommes à présent, sortis de la ville et roulons sur une piste, jusqu’à 15 km de là.
A vrai dire, vue la dégradation de cette piste, il nous faudra une demie heure pour ce trajet. Nous discutons un peu, le pays, la famille, le HCR…je suis toujours intrigué à propos de ce qu’elle veut me montrer, et qu’elle ne veut pas me dire. Encore un peu et nous y voilà. Stop, recule un peu, encore un peu. Voilà, c’est là. Regarde à gauche. Je regarde et je ne vois que des arbres, des buissons, quelques cocotiers. Mais regarde mieux, un peu en l’air. « Tu vois pas le cocotier là haut » et soudain ça me saute aux yeux, là haut le tronc du cocotier se différencie en deux troncs! Incroyable mais vrais, ce cocotier unique au monde est un cocotier à deux têtes!!! Terrassé par l’émotion, je me pince pour voir si je rêve.
Eh non, je ne rêve pas. Je remercie Marcelline de m’avoir guidé jusque là, nous descendons du 4×4 , approchons du cocotier, touchons son tronc, regardons vers sa cîme. Pas de doute, même vu d’en dessous, ce cocotier a bien, effectivement plusieurs têtes. Et moi qui n’en ait qu’une seule, je suis en train de la perdre en regardant Marcelline qui me fascine de plus en plus.
En air me revient:
« Marcelline, elle est divine, elle me fascine, Monsieur Gaston s’occupe du téléphon.
Gaston, y a le téléphon qui son!… ».
Une fois remis de mes émotions, nous reprenons le chemin inverse, et au crépuscule je dépose Marcelline, chez sa maman, quartier Abbass.
Je passerai la prendre demain à 10 h, direction Bossou, pour aller visiter les orang-outangs. Je viendrai avec Jean qui conduira car la route est longue. Elle descend de voiture avec cette grâce naturelle, que j’admire, et qu’ont certaines adolescentes. Mais pas de bisoux, bisoux.
Mais bon, en attendant, revenons à nos orang-outangs.

L’orang-outang
Henry de Monfraid, dans Saga africaine:
« Des superstitions interdisent aux africains la chasse à cet « homme sauvage ». Orang-outang en dialecte hindouiste signifie en effet « homme sauvage ».
La chasse à l’orang-outang est l’une des plus difficiles, non seulement par sa rareté et sa méfiance, mais par l’impossbilité de recourir à des rabatteurs indigènes.
En Afrique, du moins dans les régions que j’ai parcouru certains gibiers ne peuvent se découvrir sans une minutieuse et longue observation. Seuls certains indigènes, vivant constamment en forêt, peuvent connaître leurs voies et leurs gîtes, et ainsi conduire un chasseur, mais aucun d’eux ne consentira à être complice du meurtre de l’ « homme sauvage », car pour eux, il ne s’agit plus d’une bête mais bel et bien d’un homme, du descendant d’un ancêtre qui, selon une légende, fût victime du courroux d’un dieux sylvestre.
En fait, l’intelligence de l’orang-outang est parfois troublante. J’ai pu en voir un, non pas captif, mais simplement domestique, qui comprenait la parole et obéissait à son maître sans se tromper jamais. »
Marcelline nous emmène d’abord chez le guide, indispensable évidement, Jerremy Koman. On discute, on s’entend pour la visite, que nous pouvons faire tout de suite.
Sans attendre nous nous dirigeons vers la colline où réside toute une famille d’ Orang-outangs, dont Jérémy est familier depuis des années. Nous devons gravir la colline,où pousse une végétation abondante. Jérémy passera le premier, conservant une longueur d’avance sur nous trois. Il dit que ce n’est pas dangereux pourvu que nous exécutions ses recommandations à la lettre. En particulier ne jamais se retrouver entre le père et les enfants toujours proches de leur mère.
Nous commençons donc à monter la pente, mais à distance de notre guide.
Arrivés à mi-hauteur de la colline, nous sentons la brise sur la brousse. Et nous flairons l’oran-outang.
Cet animal répand en effet une odeur fétide qui, longtemps après son passage, stagne dans les bas-fonds et les taillis où l’air est immobile. L’orang-outang est imprégné de cette puanteur non seulement par le contact des excréments entassés dans son gîte et sur lesquels il vit, mais par son haleine et sa transpiration. On prétend qu’il exhale cette puanteur dans la colère ou la frayeur. C’est là, sans doute, un moyen de défense pour dégoûter l’agresseur et lui couper l’appétit s’il a l’intention de le manger.
Jérémy s’arrête et nous fait signe d’avancer sans bruit vers lui. Pointe son doigt vers la gauche, et dans un murmure: « il va apparaître là bas ». Quelques secondes et il apparaît tranquillement à 20 m de distance.

La taille de cet orang-outang adulte dépasse les deux mètres. A peine âgé de deux mois, parait-il, il est déjà aussi grand qu’un enfant de dix ans, mais qui se serait surtout développé en largeur! Sa tête est énorme, mais il nous regarde sans aménité; sans doute reconnait-il Jeremy.
Sa petite famille est droit devant lui, c’est à dire légèrement sur notre droite. Surtout ne bougeons pas, ne nous approchons pas, il pourrait croire que nous en voulons à sa femmes et ses petits, et entrer alors dans une forte colère. Notre guide nous laisse contempler cette scène extraordinaire, sans bouger, sans rien dire, pendant quelques minutes.
Puis c’est le moment d’amorcer en douceur, notre repli. Et nous commençons doucement la descente en silence, encore sous le coup d’une sensation hors du commun, qui nous a projeté fort loin de notre zone de confort habituelle.
Une expérience qui n’est pas donnée à tout le monde, ça c’est sûr.
Pendant la descente Marcelline se retourne vers moi, et mon regard passe entre son Tshirt et sa peau d’un noir d’ébène. Cette vue plongeante sur ces seins entre en résonance dans ma psychée, avec celle du grand singe!
Waouh! Ma tension monte!
Il est temps de rentrer à Conakry, je dépose Jean Guilavoguy chez lui, puis Marcelline chez sa mère (toujours pas de bisoux, bisoux, dommage ce pourrait être la preuve de notre rapprochement). Nous nous reverrons mercredi soir au dancing.
En fait je suis accro, et je retrouve chaque jour Marcelline à la sortie de l’école. Elle me fait rencontrer ses parents et je discute volontiers avec eux car ce sont des intellectuels. Comme moi. A vrai dire j’aime bien discuter le soir, dans un bar, autour d’un verre avec des français, mais j’aime aussi parler avec des intellectuels africains. Il sont impressionnés par mes responsabilités ici au HCR, et quand je leur parle aussi du Sénégal. Impressionnés aussi par les 4×4 tout neufs que j’utilise, Marcelline à mes cotés, après le boulot.
Toutefois il y a des conversations moins agréables, comme celles que j’ai eu à plusieurs reprises avec un militaire, conducteur de char qui venait tranquillement boire sa bière après le boulot, posait son flingue sur le comptoir et me parlait, sur le ton de la confidence, de ses incursions en Sierra Leone et du nombre de villages qu’il y avait détruit, incendié dans la journée.

Daniel
Je vous présente maintenant mon ami Daniel, responsable des activités supplémentaires de Prakla (construction de l’agence du Snape, réalisation des dalles en béton pour les forages et les latrines, et responsable de l’équipe d’animateurs sociaux pour la construction des abris familliaux). Il est français résident depuis au moins 20 ans en Guinée, marié depuis longtemps avec une guinéenne fort sympathique, qui sait attirer vers elle et conseiller les belles filles de Conakry. C’est une tradition habituelle, les anciennes, qui ont tant appris de leur(s) mari(s) étranger(s), conseillent les jeunes femmes qui courent après le leur, et les consolent aussi en cas de coup de spleen.
Daniel a beaucoup d’amis guinéens, tant à Conakry qu’à Nzérékoré.

Sekou Toure
En privé, Daniel me fait savoir que la mère de Marcelline a missionné un voisin, nommé Sekou Toure, comme le défunt dictateur, pour aller se renseigner sur mon compte à Conakry.

Bel orateur à l’étranger, impitoyable dictateur aczv les siens, les guinéens!

Et comme par hasard elle connaîssait mon nom!
Quand il est rentré, Sekou avait collecté des renseignements croustillants sur moi, qui menait une vie de noctambule, quant j’étais en mission dans la capitale. Il faut savoir que lorsqu’un étranger passe une nuit à l’hotel, il remet avant de se coucher son passeport à la réception. Et s’il est en galante compagnie, la demoiselle dépose sa carte d’identité. Les renseignements pertinents sont couchés dans un registre qu’un inspecteur de police vient lire chaque jour. Inutile de dire que les activités des experts des Nations Unies, des ONG, et des Bailleurs de fonds sont ainsi relevées chaque jour. En vue d’un suivi pour la protection des experts, mais pas seulement….ça peut toujours servir.
Ainsi on peut comprendre que Sekou Toure soit revenu de la capitale avec une foule de renseignement que la maman de Marcelline, et elle même, ont pu juger accablants (pour moi). Du coup Sekou a ordonné à Marcelline de quitter la ville, ce qu’elle n’a pas fait, mais l’atmosphère est devenue de plus en plus lourde.

Un beau jour, elle débarque chez moi, peu avant midi avec une grande bassine de soupe de légumes qu’elle fait cuire derechef dans la cuisine.
Et elle me remplit une assiette creuse, en me souhaitant bon appétit: « bismillah » car les guinéens sont en majorité muslim.
Je propose à mon cothurne, qui venait de rentrer pour le déjeuner, de partager cette belle soupe avec moi. Il refuse poliment, mais je crois qu’il craignait le maraboutage.
Si maraboutage il y avait c’était évidement pour moi, l’amoureux volage, qu’on voulait ramener, grâce à une soupe d’herbes maraboutiques, dans le droit chemin. En fait, je suis devenu dépendant de Marcelinne, malheureux de ne plus la voir.

Fatima
Mais le résultat final n’a pas été celui espéré, puisque au bord du désespoir je suis allé me consoler la nuit avec Fatima, chargée de la propreté du bureau du HCR (field office). Ce que le secrétaire allemand responsable de l’entretien du bureau, qui avait l’oreille fine, n’a pas du tout, mais alors pas du tout apprécié. Il pensait même licencier sur le champ la contrevenante, dont il était peut étre secrètement épris (ce qui n’aurait rien d’ étonnant). Quoiqu’il en soit j’insiste pour qu’il n’en fasse rien, et il finit par laisser tomber.
Mais les choses vont se compliquer le lendemain, car Marcelline étant sortie de ma vie depuis plusieurs jours, j’invite Fatima, pas désagréable du tout, à dîner et danser ce soir avec moi au bar-restaurant dancing que de nombreux experts fréquentent spécialement le vendredi soir, pour se remettre du stress de la semaine (relief of stress). Nous nous asseyons à notre table et je note avec plaisir que tout le gratin de l’assistance humanitaire est présent. On va pouvoir s’amuser et discuter ensemble. Mais soudain qui voilà?
La divine Marcelline, accompagnée d’une copine, toutes pimpantes. Elles font mine de m’ignorer et vont se trémousser comme des folles sur la piste de dance.



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