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Maroc 1974

Maroc 2     1974-1976    J’ai 30 ans en 1974  

Lorsque je descend du paquebot, j’aperçois tout de suite à la coupée de la passerelle mon ami Philipe Mussy, je savais bien qu’il était à Casa au LPEE : Laboratoire Public d’Essais et d’Etudes. Et ceci depuis plus d’un an. Il nous emmène derechef à l’hotel «Le Cèdre», proche du siège. Puis après les formalités d’usage et le dépôt de nos bagages dans la chambre 404, nous allons prendre ensemble un petit déjeuner.

Après s’être enquis poliment de notre voyage, il entreprend de me présenter maintenant la situation au Maroc en général, et dans notre laboratoire en particulier ce qu’il en ressort dans l’organisation de notre travail. 
Sa Majesté Hassan II, roi du Maroc a récemment déclaré la « marocanisation des cadres »  selon laquelle toute entreprise au Maroc doit être, et sera, dirigée par un cadre marocain. Aucun étranger ne sera admis à la fonction de Directeur. Sur ce point, Phillipe m’informe que le LPEE, dirigé jusqu’à présent par Marcel Mariotti, était passé conformément à la directive royale sous la direction de M. Hakimi, ingénieur de l’Ecole Polytechnique française, la crème des ingénieurs.
Et lui, Phillipe Mussy, a été choisi comme conseiller de Sidi Hakimi, lequel est une personnalité de l’opposition, bien connue à Casasblanca et même pressentie comme futur ministre de l’Equipement.
Tout à fait dans leurs rôles de conseillers, Phillippe et Marcel ont proposé à Si Hakimi  que le travail s’effectue en couple : ainsi chaque cadre marocain travaillera en couple avec un cadre français de même niveau.
A commencer par Si Hakimi, lui même, qui sera secondé par  Marcel Mariotti. Cette organisation (et Philippe n’en dira pas plus pour le moment) me concerne aussi : dès à présent je serai en pool avec un jeune ingénieur marocain : Mohammed Choukaïli.

Il est maintenant l’heure d’aller me présenter à Marcel Mariotti, et de prendre rendez vous avec M. Hakimi.

Marcel m’acceuille fort bien, et se félicite d’avoir enfin un ingénieur hydraulicien  au Laboratoire. Il s’offre à me dispenser en deux ou trois jours une formation  complèmentaire à la géotechnique (la mécanique des sols) qui est l’acticvité principale du Labo, dont les compétences en la matière sont connnues et appréciées dans tout le Royaume. Notamment grâce à M. Delarue, le précédent  Directeur, malheureusement  décédé il y a un an des suites d’une longue maladie. (Philippe m’en avait touché un mot à l’hôtel, et je sens à ce propos combien M. Delarue jouissait de l’estime de ses collaborateurs).
Pendant ce temps, la secrétaire de Marcel a obtenu un rendez vous avec M. Hakimi en début d’après midi. Je vais donc pouvoir me retirer afin de retourner à l’hôtel, pour y rejoindre Lynda et me reposer du voyage.
Philippe me racompagne et repassera me prendre à  l’hôtel, vers 14 h. Costume-cravate de rigueur pour  cet après midi.

A 14 h, c’est le rendez vous et les présentations à Si Hakimi et Si Choukhaïli avec lequel je vais faire équipe. L’entente est cordiale, mais l’athmosphère est un peu guindée, comme toujours dans les pays en développement, avec un respect exagéré de la hiérarchie. De plus la juxtaposition de ces deux hièrarchies (marocaine et française) n’est pas encore rodée. Il faut réaliser que le changement est d’importance : les marocains, du jour au lendemain, viennent de prendre le pouvoir dans toutes les entreprises de leurs pays !
Notons qu’aujourdhui, soit 20 ans plus tard, le Maroc s’est hissé au rang de pays développé. 
Enfin Si Hakimi est sensible, lui aussi, à ma formation d’ingénieur hydraulicien, et m’avise qu’on en reparlera prochainement. Il me souhaite aimablement une bonne installation au Maroc et instruit Choukhaïli à m’épauler chaque fois que ce sera nécessaire.

Puis  les présentations continuent  auprès de mes collègues ingénieurs français  expatriés (Dencausse..), et marocains (Naciri…), des technniciens pieds noirs (Vialla….) . Enfin Philipe me conduit vers la salle des essais géotechniques où, en silence,  s’affairent des techniciens  en blouses blanches, manipulant des échantillons de sols sur des machines dédiées : cisaillement rectilignes, ou triaxial, pour la portance des sols, oedomètres pour leur compressilbilité, étuves et tamis pour les identifications…etc. Dans une autre salle ce sont les essais  relatifs à la conception des routes et ponts, et au contrôle de réalisation des travaux. 


Je suis impressionné par le changement d’échelle par rapport à Tahiti : l’immeuble de bureaux à trois étages, le personnel, les équipements techniques dans les salles d’essais,  les nombreuses voitures dans la cour, les foreuses pour le carrotage des sols et autres appareils pour la réalisation des essais « in situ ». 
La visite se termine par une poignée de main au concierge, pied noir lui aussi, attaché au laboratoire depuis des lustres, comme l’était son père …au joli temps des colonies.

Voilà, c’est maintenant la fin de ma première journée au LPEE. Retour à l’hôtel. Demain, m’indique Philippe, on passera à mon installation personnelle au Maroc (logement, démarches administratives, véhicule…etc). 
Une villa sympa au quartier plutôt européen du C.I.L., situé à proximité d’Anfa (le quartier élitiste) ; ce n’est plus tout à fait le centre ville, mais il est bien desservi par de larges avenus très roulantes; et pas loin de la corniche, où sont situés les clubs : des corses, des libanais, des officiers de l’armée, des administrations….etc. Et le lieu d’ activités dignes et nocturnes: restaurants, night-clubs (M. Mariotti est trompettistes dans l’un d’entre eux), dancings…etc.
Sans oublier les activités sportives : promenenades pédestres, natation en piscine, volley ball, tennis….etc.
Beaucoup d’expats sont logés au C.I.L. notament mon collègue Dencause, qui deviendra un bon copain.
De retour au siège du LPEE, Philippe me remet les clès de ma nouvelle voiture, toute neuve.

Et Lynda et moi nous installons dans notre nouvelle villa. Une nouvelle vie commence….

Le lendemain matin, M. Mariotti (Marcel) commence ses cours particuliers en géotechnique, science de la terre, du sol et du sous sol, que je ne connais que très peu, car à Tahiti, j’avais plutôt travaillé sur l’hydraulique. J’apprends bien des choses sur cette noble science, appliquée au LPEE pour les études de fondations d’immeubles, d’usines, barrages hydrauliques, routes et ponts.
Fondations qui peuvent être superficielles (radier, semelles) – ou profondes (puits ou pieux ).
Classement des sols par types, exécution de remblais portuaires ou routiers. Il y a des théories mathématiques pour toutes ces opportunités. Et les caractéristiques des sols, mesurées sur des petites galettes d’échantillon de sols intacts (7 cm de diamètre, 2 cm d’épaisseur), prélevés par forage sur site, permettent de dimensionner les ouvrages en béton, acier, bitume.., qui pésent des centaines de tonnes de béton.
La géotechnique est une science assez récente, développée initalement aux USA, et le nom de l’ingénieur Casagrande est souvent cité, notamment pour l’étude des fondations de l’hopital de New York (plusieurs centaines de mètres en longueur et largeur, et des étages), études fondée sur la mesure de quelques millimètres de tassement d’une petite galette de sol soumise à des pressions croissantes.
Le LPEE est l’antenne au Maroc du CEBTP (Centre Expérimental du Bâtiment et des Travaux Publics, lui même émanation du Syndicat des entreprises françaises).
Le CEBTP gére de tels laboratoires, non seulement dans tous les départements français mais aussi dans la plupart des pays francophones.

Par contre au Maroc, il n’y a qu’un seul laboratoire de sol, vers lequel convergent toutes les commandes du privé et de l’administration, avec le siège à Casablanca et des antennes dans les 15 provinces (Fès, Marrakech, Tanger, Al Hoceima, Ksar El Souk, EL J’dida, Agadir,..etc).

M. Mariotti ayant consacré deux jours pleins à ma formation, avec le talent qu’on lui connaît, on peut maintenant me lâcher sur une première reconnaissance de sols : pour une extension du port de Casablanca, il s’agit de réaliser des « essais de plaque » à partir desquels on pourra caractériser la portance des anciens remblais ce qui déterminera les surcharges admissibles à ne pas dépasser pour les ouvrages à construire.
Je travaille donc deux semaines à l’intérieur du port principal, avec une petite équipe rodée à ces essais. Nous avons un gros camions chargé, et nous poussons la plaque sur la surface du sol.

Peu de temps après Si Hakimi me fait venir dans son bureau : « M. Meyer, vous êtes le seul ingénieur hydraulicien du LPEE, alors je m’adresse à vous pour me proposer des activités que le LPEE pourait mettre en œuvre, tout en restant dans le cadre de son cœur de mission, à savoir les essais et les études. Je vous missionne donc pour rencontrer les directeurs provinciaux des ORMVA (Offices régionaux de mise en valeur agricole) et  des Ports autonomes, ainsi que le Directeur national de l’Hydraulique et des Barrages.
Je vais rédiger une lettre à l’intention d’un adjoint proche du Ministre, dans les deux ministères concernés et vous prendre un rendez pour examiner avec eux leurs besoins et les services que nous pourrions leur rendre. Dans un premier temps, vous partirez les rencontrer à Rabat, et vous pourrez établir avec eux un planning de visite dans chaque province, a l’issue desquels vous me rédigerez un rapport global sur les besoins que nous pourrions satisfaire.

Une mission en or pour un jeune ingénieur hydraulicien. J’échappe au bureau, à la hiérarchie, aux tâches répétitives, et je vais rencontrer des directeurs nationaux puis régionaux dans des secteurs clés du Royaume. Ceci va m’amener sur le terrain, c’est ce que j’aime.

Enthousiaste je vais faire part  à M. Mariotti de cet entrevue avec Si Hakimi. Sa réaction, compréhensible mais totalement imprévue en ce qui me concerne me laisse pantois : il est abattu, à la limite de la dépression, écrasé par ce que je lui rapporte. Et il me reproche d’avoir accepté d’emblée cette mission, sans même lui en avoir parlé. Jusqu’à présent au LPEE, c’était lui le Directeur qui était chargé des contacts à haut niveau qu’Hakimi vient de me confier. Ce que je lui fais subir est une atteinte à sa dignité…
 
Puis après quelques minutes au cours desquelles il reste prostré, il se ressaisit et….me présente ses excuses!
Pour lui la période est très pénible, il voit ses attributions se réduire les unes après les autres, et là, ce que je viens de lui annoncer est une sorte de coup de grâce !
En bref, il m’invite, mais un peu tard, à faire ce qu’ Hakimi me demande et m’assure de toute sa disponibilité, et de sa coopération pour me conseiller, et m’aider si j’en ressens le besoin ! 
Super, merci Marcel, je n’y manquerai pas, d’autant plus que ça ne fait pas longtemps que je suis arrivé au Maroc….Dernier soupir de Marcel et… la vie continue.

Je m’attelle donc à la tâche que m’a confié Si Hakimi, et je reviens assez vite avec de précieux renseignements que je lui communique: Le première étude à réaliser concerne un barrage dans la préfecture d’El J’dida. Il s’agit du barrage d’Imfout, sur l’oued Oum Er Bia, qui permet l’irrigation de plusieurs dizaines de milliers d’hectares dans la plaine. de la Moulouya. 

Le barrage d’Imfout, d’une superficie de 27 000 km², sur l’Oum Errabia, le deuxième fleuve marocain par sa longueur, dont le bassin est devenu la clé de voûte du réseau hydroélectrique et d’irrigation du pays.

Un barrage hydraulique est toujours situé en zone montagneuse. Il est édifié pour barrer une vallée, l’eau s’accumule derrière, une partie est turbinée pour produire de l’électricité, alors que l’autre partie est transférée vers la plaine à irriguer. Au barrage d’Imfout, ce transfert se fait par un tunnel, de 17 km de longueur, percé en rive gauche.
L e diamètre de ce tunnel est optimisé par le calcul, pour transporter le débit nécessaire. Or il se trouve qu’à Imfout, le tunnel ne permet pas le passage du débit calculé. Il y a un déficit important à la sortie. Les géologues qui connaissent bien la région, avance l’hypothèse de fuites importante en ligne dans le tunnel.
Mesurer précisément ces fuites, permettrait d’envisager de les colmater et finalement d’obtenir un débit bien plus important pour l’agriculture de 10.000 hectares supplémentaires.

Le Directeur de l’ORMVA l’OUM ER BIA me demande si le LPEE peut réaliser la mesure de ces pertes en ligne..

Je le confirme et explique comment nous pouvons mesurer le débit des fuites le long du tunnel, par la méthode de dilution, qui m’a été enseignée lors de mes études à l’Ecole Nationale Supérieure d’Hydraulique de Grenoble.
(ENSHG, bien connue au Maroc). La comparaison avec le débit de projet nous donnera les fuites. Le Directeur acquiesce.

J’explique tout ça à Si Hakimi, qui me demande d’établir un descriptif de nos prestations, et un devis. Un marché est rapidement signé avec l’ORMVA, l’avance de démarrage est versée sur notre compte et nous pouvons donc passer à l’action.

Wikipedia:

D’une superficie de 27 000 km2, le bassin versant au niveau du barrage d’Imfout est caractérisé par un climat continental avec des influences océaniques très marquées. Il ne reçoit que de faibles précipitations ne dépassant guère 350 mm. Le débit annuel ruisselant est de 100 m3/s en moyenne mais connaît des variations inter-saisonnières assez importantes.

Le barrage d’Imfout contrôle ce débit depuis 1944 et alimente, par le biais d’une galerie en charge longue de 17 km, le canal qui dessert le périmètre des Doukkalas. Ce barrage contrôlait pendant plus de trente ans – sans protection – cet important bassin versant si bien qu’il est en 1974 presque complètement envasé.

Dans la région d’Imfout, le lit de l’Oum Er-R’bia est très encaissé. Les emplacements possibles pour un barrage étaient nombreux. Le site retenu fut choisi parce qu’il offrait la possibilité d’une surélévation. La zone d’appui du barrage est constituée de quartzites en gros bancs séparés par des intercalations schisteuses d’épaisseurs variables.

Pour mesurer le débit sortant du barrage, je constitue une équipe pour effectuer les mesures sur place. J’ai étudié à Grenoble la mesure des débits par la méthode de dilution et fait également des travaux pratiques sur l’Isère qui travers la ville. Le plan est simple:
– préparer une solution mère de concentrée de colorant KCl, chlorure de potasse.
– l’injecter à l’entrée du tunnel dans le débit d’eau coulant dans le tunnel.
– faire un prélèvement d’eau à débit continu à la sortie du tunnel depuis le moment de l’injection, jusqu’à la fin du passage du nuage.
– récupérer l’eau prélevée et en doser la quantité de colorant.
– un calcul simple permet d’en déduire le débit à la sortie du tunnel.
Le dosage est la partie délicate de l’interprétation, et exige du matériel spécial (en particulier une micro-burette délivrant des gouttes d’un millième de gramme). Il faut aussi se laver très soigneusement les mains avant de manipuler.

Toutefois M. Mariotti, réalisant à juste titre que je n’avais pas assez d’expérience en la matière, déclenche une mission du spécialiste mondial (celui qui; pour les barrages d’EDF avait mis la méthode de dilution , avec un professeur de l’ENSHG, ). Résultats: 7 m3/sec est le débit réel sortant de la galerie. Alors que le débit total à l’entrée est de 14 m3/sec. Il y a donc 50% de fuites sur les 17 km de la longueur de la galerie.

Ce que je raconte sur la manière dont s’est déroulé cette opération: la première mission de préparation, c’est la reconnaissance des lieux. Mon équipe comprends 5 personnes plus moi même. Le chef d’équipe est Hindi, ainsi nommé parce qu’ à l’âge de 18 ans il s’est mis en route à pied, et sans argent, pour atteindre les Indes, où il séjourne une année avant d’en revenir…à pied, et sans argent !

Au cours de cette mission préliminaire, nous nous rendons, bien sûr au barrage où on nous présente le gardien, qui effectue chaque jour le réglage de la vanne de départ, sur instruction de l’EDM (électricité du Maroc), car le barrage fournit de l’eau pour les turbines, qui produisent de l’électricité pour El Jedida. Il nous fait visiter la chambre des vannes et le mécanisme ancestral, mais fonctionnel, de leur ouverture manuelle. Du vieux matériel de précision en cuivre, mais bien entretenu depuis 1945 par le père, et le fils du gardien, qui a pris sa succession. Nous comprenons que c’est dans le puit des vannes que nous devrons injecter la solution mère saturée en chlorure de potassium pour effectuer notre mesure de débit comme décrit plus haut. A l’autre extrémité du tunnel, nous n’aurons pas de difficultés: une petite pompe de prélèvement sera prévue avec quelques bidons de 20 litres pour stocker l’eau prélevée.
Nous rentrons donc à Casa pour préparer le volume de solution mère à injecter et son récipient pour le transporter. Ainsi que la pompe de prélèvement et ses bidons de 20 litres.
Nous revenons une semaine après, avec la solution mère à l’arrière du 4×4 dans un drum (tonneau en acier de 240 litres de contenance utilisé habituellement pour la livraison de bitume). Nous avons aussi une paire de talkie-walkies pour communiquer entre l’amont et l’aval de la galerie. Mais voilà, nous n’y avions pas pensé: notre 4×4 ne peut pas parvenir jusqu’au barrage. Il reste quelques centaines de mètres à parcourir. Le gardien, qui a tout compris se pointe avec son bourricot pour nous dépanner.
Le drum en place à coté du puits des vannes, il nous reste à visser sur son orifice un tube coudé, muni d’une vanne, qui descend jusqu’au niveau d’eau. On avait préparé tout ça au labo. Puis notre ami, le gardien, ouvrira en grand la vanne d’entrée de l’eau du barrage dans la galerie (le tunnel).
Le gardien est particulièrement sensible, voire perturbé ou encore exalté par cette ouverture de vanne qui jusqu’alors, n’avait jamais été faite à 100 %. Il explique à Hindi qu’il n’a pas pu dormir de toute la nuit, et qu’il l’a passée à astiquer les cuivres, lesquels effectivement brillent de tous leurs feux. Il est nerveux, et ça se voit, il va et vient, essuyant ici et là, les cuivres du dispositif d’ouverture. C’est assurément le jour de sa vie!

L’équipe de prélèvement est à son poste en bas, et nous en haut pour l’injection de la solution mère. Le top est donné, et j’ ouvre le robinet-vanne du drum à fond, pour l’injection de son contenu (le solution mère de KCl), dans l’écoulement au sein de la galerie. Surprise rien ne bouge. Que faire? J’ai une idée, je saisi un bout de tuyaux en PVC, de petit diamètre, et l’introduit dans l’orifice de départ du drum. Et je souffle le plus fort possible dedans. Bingo!
La vidange du drum s’amorce et tout d’un coup en quelques secondes, ce sont les 200 litres de solution mère, qui sont aspirés, dans un grand bruit de succion, par la dépression induite par l’écoulement rapide dans la galerie.
Un top au talkie walkie pour prévenir l’équipe à l’aval qui commence son pompage de prélèvement.
Tout se passe fort bien, et nous pouvons rentrer à Casa avant la nuit, avec notre matériel et surtout le volume d’eau prélevé à la sortie de la galerie. Nous allons mettre tout ça au frais et demain nous ferons l’interprétation et les dosages nécessaires à l’étalonnage du colorimètre.
Cette opération est délicate et sera effectué par notre spécialiste mondial. Il va mesurer avec un précision extrême, le taux de dilution de l’échantillon prélevé, pressenti autour de 1/1.000.000 nécessitant de travailler avec une micro burette délivrant des micro-gouttes.
Finalement nous avons valablement mesuré un débit de fuite le long des 17 km de tunnel: 7m3/sec, soit 50% du débit de projet.

Il ne reste plus maintenant qu’à repérer et boucher ces fuites, au long de la galerie. Et ceci permettrait de doubler la surface cultivable dans le périmètre des Doukkala
(35 000 hectares). Mais ceci est une autre histoire…

Si Hakimi est satisfait car cette prestation pourra être souvent reproduite pour les autres ORMVA du Maroc.

A présent suivant ses conseils je vais aller voir, comment le LPEE pourrait être utile du coté des ports autonomes: Casablanca, Agadir, Nador, Tanger, TangerMed. Le Directeur des ports autonomes fait état de préoccupations relatives à l’envasement généralisé des ports. Je propose donc un relevé topographique des fonds dans les ports concernés. Le terme exact est plutôt relevé bathymétrique à l’aide d’un échosondeur. Nous pouvons faire ces relevés et les études qui en découlent, mais voilà, nous n’en avons jamais fait, et nous n’avons pas non plus d’écho-sondeur.
Qu’à cela ne tienne. Le Directeur m’apprend qu’il y a un écho-sondeur dans chaque port qui peut être mis à la disposition du LPEE. Ainsi qu’un ingénieur spécialisé, que nous pourrions engager pour la durée de chaque relevé bathymétrique.
Le directeur poursuit: « les besoins urgents concernent les ports de Casablanca, Agadir, Nador et Tanger:
Casablanca: relevé général du port avec attention particulière sur la grande digue, en cours d’effondrement.
Agadir: étude pour l’extension du port actuel
Tanger: relevé pour l’étude de la construction d’un nouveau port sur l’Atlantique, avec en option une localisation sur le méditerranée (cette dernière option sera retenue avec la réalisation du grand port de Tanger Med).
Nador: relevé bathimétrique pour l’extension du port actuel. »

Le Directeur des ports autonomes indique en plus la construction d’un important port phosphatier pour les exportations à Jorf Lasfar. Le Maroc est en effet le premier producteur mondial de phosphate.
Lorsque je rapporte tous ces projets à Hakimi, il décide de me faire assister par Affia, un ingénieur qu’il vient d’engager.
Nous formulons donc les projets de contrat avec la Direction des ports autonomes du Maroc, et ceux-ci une fois signés, je constitue une première équipe pour la réalisation des bathymétrie, avec J.P.Poissonnet, un jeune plongeur français qui arrive de Tahiti, que j’embauche comme pilote de notre Zodiak Mark 4 (acheté) sur lequel sera monté l’écho-sondeur (prête). Viala, le pied noir, le secondera sur le bateau et effectuera les pointages repères sur la bande enregistreuse de l’échosondeur. Quant aux repérages à terre, ils seront relevés par trois équipes de topographes (avec appareil RDS) judicieusement positionnés sur la cote.
M. Mariotti, pour renforcer la fiabilité de notre dispositif, déclenche une mission du LCHF (Laboratoire Central d’Hydraulique de France) ce qui nous permettra d’avoir dans le Zodiac un ancien capitaine de la marine, expérimenté, qui sécurisera nos relevés, en enregistrant les siens avec un « cercle nautique ».
Il me donnera de bons conseils pour la direction des opérations.
Tout se passe plutôt bien, et nos premières cartes de bathymétrie commencent à sortir de notre bureau d’études.
Pour nous faire la main , nous avons commencé par le petit port de Mohamedia, à proximité de Casablanca. Le travail est effectué rapidement et restitué par le bureau d’études topographiques, notre partenaire sous forme d’une carte bathymétrique, semblable à une carte topographique classique, sauf que là il ne s’agit pas du terrain, mais du fond de l’océan.
A la fin d’une journée de travail sur le zodiak, Vialla le pilote s’offre une petite pointe de vitesse au large, pour le plaisir. Notre nouveau superviseur Affia qui observait en cachette notre travail depuis un moment, en prend bonne note, et le lendemain il nous convoque tous dans son bureau et commence à engueuler Vialla, et les autres.
J’ai horreur de cette situation, moi qui assure le bon déroulement des projets en symbiose avec les équipes qui font le boulot sur le terrain. Je prends leur défense:

Cinq minutes de détente après une journée de travail ce n’est rien…bla, bla, bla ..etc. Finalement Affia met fin à la discussion.
Mais il passe me voir à mon bureau le lendemain et me reproche d’avoir pris le parti de Vialla. Mon rôle ne serait pas selon lui de soutenir les employés face à la hiérarchie. Je lui explique que je suis comme ça, on ne me changera pas. Fin de l’entretien, mais je commence à comprendre que cet Affia ne va pas me faciliter la vie.

Puis nous passons à la bathymétrie du port de Tanger, et à celle de Nador. Là nous travaillons avec le meilleur bureau de topographie de la ville. Celui de M. Gallois.
C’est un français de métropole (un pied noir) qui habite sur les hauteurs de Tanger. De sa villa où il m’invite à diner, on peut apercevoir au loin les lumières de Gibraltar, c’est à dire les lumières de l’Europe. Il m’explique que lui et sa femme vont souvent avec son avion personnel en Espagne dès qu’il peut s’accorder quelques jours de congé.
Ceci dit sa femme a également sa licence de pilotage, et son propre un avion personnel. Cette « flottille » le rassure car en cas de coup dur au Maroc, il peut dégager très vite en Espagne. Il participe régulièrement, lui et sa femme, chacun avec son avion, tous les ans à un rallye qui part de Paris pour aboutir, en plusieurs étapes dans une capitale d’Afrique Noire, qu’on leur précise la vielle du départ.

Il me fait comprendre que depuis le temps qu’il est à Tanger, il entretient d’excellentes relations avec les Autorités marocaines. Mais il se méfie, car il pense que la marocanisation des cadres n’est qu’une étape qui pourrait en cacher une autre: les règlements de compte (financiers) entre les entrepreneurs étrangers et le Maroc.
Pour illustrer son propos, il me cite le cas d’un chef d’entreprise espagnol, qui tentait de quitter le pays avec des fonds, en devises, non déclarés et donc mettait en quasi-faillite son entreprise. Il avait tenté récemment de passer en Europe clandestinement, avec sa famille, le matin avant le lever du jour. Bien sûr son projet de fuite avait été éventé (par ses collaborateurs marocains) et voilà que faisant vrombrir le moteur avant de décoller, il reçoit sur la radio de bord, un ordre de couper les gaz et de se rendre à la police des frontières. S’ il tente de décoller, son avion sera abattu par une mitrailleuse en poste à l’extrémité de la piste.
Alors avec sa femme et ses enfants il s’est rendu et croupit depuis dans la prison de Malabata à Tanger.
Selon Gallois il y aurait actuellement plus de 300 ressortissants étrangers en prison au Maroc.
Monsieur gallois sera notre partenaire topographe, pour les relevés du bateau, à chaque top de repérage porté sur la bande enregistreuse de l’écho-sondeur. Nous réalisons ainsi, avec le cabinet Gallois les bathymétries des ports de Tanger océan , et Tanger Méditerranée; c’est ce dernier site qui sera retenu au final pour la réalisation du plus grand port de cela méditerranée. Ultramoderne!.
Puis nous enchaînons sur les autres sites à relever en Méditerranée: Nador, Al Hoceima, et quelques autres.
Dans le Sud du Maroc nous enchaînerons par l’extension du port d’Agadir et Tan Tan.
Mon rôle consiste à démarrer avec l’équipe tous ses chantiers de bathymétrie, puis à suivre par visite régulière leur déroulement afin de pallier toutes difficultés.
Lors d’un de mes déplacements, arrivant à Tanger on me signale qu’Hindi a été arrêté par la police dans un hôtel de passe. C’est assez surprenant car ces hôtels marchent fort bien, dans un pays où la chaleur et la beauté des marocaines incitent aux liaisons éphémères, aux coups de canifs dans les contrats de mariage. IL est vrai que nous sommes à proximité du mois de Ramadan, à un période où les écarts sont plus sévèrement réprimandés. Hindi a été arrêté dans une chambre de l’hôtel El Tanjaoui en galante compagnie (en fait les marocains disent plutôt, « avec une pute ».
Je vais donc séance tenante me présenter au commissariat de Tanger pour tenter de faire libérer Hindi, en payant un bakchich si nécessaire. Le commissaire me reçoit très aimablement, mais est inflexible. Si Hindi voulait une relation sexuelle sécurisée, il n’avait qu’ à aller dans un hôtel correct, pas dans le Tanjania, dont la réputation n’est plus à faire. Il a été raflé avec d’autres, et tous ont été condamnés à un an de prison ferme. Ils sont enfermés dans la forteresse de Malabata, la prison de Tanger.
Je retiens cette phrase du commissaire. Si votre Hindi avait fait comme nous l’aurions fait, vous et moi, dans un hôtel de luxe cela ne serait pas arrivé. Maintenant il m’est impossible de le libérer. Désolé, cher Monsieur.
C’est donc la mort dans l’âme que je retourne au chantier, ne sachant que faire.
Six mois plus tard je reçois au bureau, à Casa, la visite d’un vieux bleddar, qui vient d’apprendre que son fils Hindi est en forteresse à Tanger. Il m’engueule carrément de ne pas l’avoir prévenu du funeste sort réservé à son fils. Je l’informe de ma démarche infructueuse auprès du commissaire de Tanger. Mais il a beau être un habitant du bled, il n’en a pas moins d’excellentes relations et se fait fort de faire libérer son fils. ET pourquoi ne l’ai je pas prévenu? ALECH ? Il va donc se rendre à Tanger.
Effectivement il revient quelques jours plus tard avec son fils habillé d’une belle djellaba toute neuve et rasé de près. J’informe le vieux que je réintègre immédiatement son fils dans mes équipes, mais pas dans la région de Tanger! Hindi participera aux reconnaissance bathymétrique dans le Sud du pays: Agadir, TanTan..
Hindi me racontera les conditions épouvantable de détention à Malabatta pendant l’hiver pluvieux. Dans la prison inondée, le niveau de l’eau jusqu’à la taille, il est resté plusieurs jours debout sans dormir pour ne pas se noyer. Tous les matins on évacuait les cadavres…etc.

Bon le temps passe et à présent Si Hakimi, m’informe que le LPEE est contacté par le BRGM, Bureau de Recherches Géologiques et Minières, conseiller au Ministère de l’Hydraulique pour une étude dans la région de Marrakech.
La ville rose était pour l’essentiel alimenté en eau par drainage sous terrain de la nappe phréatique du Haouz. Ce sont d’antiques drains, réalisés il y a des siècles, sous la direction des Habbous – autorité religieuse chargée de l’alimentation en eau des villes du Maroc -. Ces drains sont des sortes de tunnels creusés à faible profondeur, qui écrèment le niveau supérieur de la nappe phréatique, elle même alimentée par les oueds descendant des montagnes de l’Atlas. Convergeant vers Marrakech, ils ont une pente douce, mais suffisante pour amener par simple gravité, sans pompage, l’eau vers la médina.
Les vidéos ci-dessous détaillent les avantages de ces systèmes traditionnels d’alimentation en eau pour les culture, mais aussi pour la consommation.
Cependant plus récemment le puisage dans des puits, généralisé au niveau familial a entraîné une baisse généralisée du niveau de la nappe du Haouz (dépassant les 8 mètres en 1970); donc si les puits familiaux et le pompage par groupe motopompe ont pu être pendant des décennies une solution viable, ils ont entraîné l’assèchement de la nappe du Haouz, douloureux problème pour la cité, et aussi dans les douars (villages) de la région.

Le barrage du Lakhdar, un oued important pourrait contribuer par des apports régulés, à la recharge de la nappe du Haouz.

D’ailleurs la construction d’un canal bétonné de 50 km de longueur avait été entreprise par les colons d’avant l’indépendance, pour amener précisément l’eau de l’oued Lakhdar jusqu’aux domaines agricoles du Haouz. La construction en avait été interrompue lors des évènements précédents l’indépendance. Ce qu’il en restait à l’heure actuelle: le canal à l’état brut, sans le revêtement en béton.
Son tracé, dans la plaine au pied de la chaîne de l’Atlas, recoupait tout un réseau de Khetarras.
Le BRGM étudiait le projet de se servir du canal, à ce stade par bonheur non revêtu, comme front d’infiltration des eaux du Lakhdar en vue de recharger, de faire remonter le niveau de la nappe du Haouz sur toute sa largeur.
Le BRGM avait confié au LPEE les essais de perméabilité sur échantillon de sol, mail il s’avérait difficile de tirer des conclusions à partir de quelques galettes de sol 50 mm de diamètre par 25 mm. M. Mariotti préconisait la réalisation d’essais en vrai grandeur, par remplissage du canal et suivi des infiltrations. A sa demande, après une visite sur site, je formulait un projet allant dans ce sens. Dont voici quelques éléments:
. Découpage du canal en plusieurs tronçons, à partir de son entrée dans la plaine du Haouz et jusqu’à son extrémité.
10 tronçons retenus.
. Aménagement au milieu de chaque tronçon, d’un bief d’essai de 100 mètres de long. Comprenant notamment, coté aval, un petit barrage en terre de 2,50 m de hauteur.
. Remplissage avec de l’eau des seguias environnantes de chaque tronçon jusqu’a une hauteur maximale de 2,00 m.
. Installation sur chaque petit barrage d’un limnigraphe enregistreur: c’est un appareil qui trace sur une bande de papier, la descente de niveau de l’eau qui s’infiltre avec le temps qui passe.
. réalisation en rive d’un bac d’évaporation, car sous l’action du soleil et de la chaleur (élevée dans la région), l’évaporation est intense, et se poursuit même la nuit.

Avec ce dispositif, je peux donc mesurer chaque jour le volume d’eau infiltré (vers la nappe du Haouz) dans chacun des dix biefs: volume enregistré déduction faite du volume évaporé.
. J’embauche dix responsables pour les 10 biefs d’essais.
Avec pour tâche: gardiennage de son bief, vérification du fonctionnement de son limnigraphe à flotteur, enregistrement manuel toutes les 6 heures compris la nuit, des hauteurs d’eau évaporées dans le bac d’évaporation.
Les dix responsables sont des techniciens à niveau.
Le chef de ce chantier de mesure est Hindi; on lui affecte un Peugeot 404 et il veillera à la fiabilité du travail de chaque responsable, et à leur approvisionnement en nourriture. Il décidera des nouveaux remplissages de biefs, si nécessaire (la vidange complète de chaque bief sera de quelques jours). Un nouveau remplissage sera alors effectué.

Chacun, y compris Hindi, aura sa guitoune, et son lit picot pour dormir. Chacun devra amener son équipement pour la nuit, et pour préparer les repas.
En fait personne ne sera isolé sera isolé du fait des fréquentes visites des douaristes (habitants des douars, les villages) .
Quant à moi, une fois le dispositif en place, je rentre à Casablanca avec ma Renault R12. Seuls les grands patrons ont un R16, le top à l’époque. Il n’y a pas encore la profusion des 4×4 rutilants japonais. Les seuls 4×4 sont des landrlovers à caisse en aluminium. Il n’y a pas non plus en 1972 les machines à calculer digitales, mais les premières ne vont pas tarder (des calculettes à cristaux liquides). Pas non plus de téléphones portables. Je demande donc à Hindi de me tenir au courant chaque jour en fin d’après midi. Il dort à Marrakech, dans un fondouk en médina. Avant de rentrer je lui attribue une caisse de chantier approvisionnée de 1000 dirhams pour la première semaine. Comme tous les chefs de chantier il devra tenir et produire une comptabilité. Je réapprovisionnerais la caisse tous les dimanches. finalement tout va bien, à chaque week end je constate que les mesures se déroulent normalement. Chaque week-end je récupère les relevés des repérables, ce qui me permet de les dépouiller le lundi à Casablanca. A la fin du chantier je paye tout le monde, je récupère tous les documents. Les responsables démontent et replient leur tente, et leur lit picot, Hindi charge tout ça dans sa camionnette Peugeot 404, je salue et remercie tout les responsables et je rentre à Casablanca. Et là, les choses vont se compliquer. Voilà pourquoi:
Devant tous les chantiers qui s’accumulent (mais que je me débrouille pour réaliser correctement), Si Hakimi a embauché un ingénieur algérien, et l’a mit sous la coupe d’Affia, qui s’empresse de me le coller sur le dos. Comme il ne comprend pas grand chose, il est toujours derrière mois à poser des questions inappropriées. J’apprends qu’il épluche mes notes de frais, hôtels et restaurants qui évidemment son nombreuses car les chantiers sont nombreux et que j’en effectue la tournée au moins une fois par semaine. D’ailleurs Orliac, le second de M. Mariotti me fait le reproche de ne pas être souvent à la Direction, et conséquemment de m’isoler par rapport à mes collègues français. Non sans souligner que traitant en permanence directement avec les marocains, si quelque chose devait mal se passer, il ne pourrait pas intervenir auprès des marocains en ma faveur, parce qu’ils ne savent pas exactement comment se déroulent les projets dont je m’occupe.
De mon point de vue, cela traduit des relations difficiles entre mes collègues français et Si Hakimi avec ses ingénieurs marocains. La situation se tend entre les deux communautés, française et marocaine.
M’jahed va du reste la tendre à l’extrême, la situation. Violemment anti-français, il se complait dans l’exposé des crimes commis par les français peu avant le date de l’indépendance de l’Algérie. En fait il s’agit plutôt de crimes, oui, mais commis par l’OAS, violemment pour l’Algérie, ce qui n’est pas le cas de la majorité des français, comme le récent référendum de De Gaulle, l’a montré. Les français ont voté massivement pour l’indépendance de l’Algérie. Qu’importe pour M’jahed, par exemple il accuse la France d’avoir piégé les conduites de gaz et de pétrole, entraînant ainsi la mort d’ingénieurs algériens.
Alors que je pensais pouvoir discuter calmement avec lui, il provoque ma colère m’agressant, me disant de rentrer chez moi, en France, moi et tous mes collègues, car nous ne faisons rien de bon ici en Algérie, après l’indépendance. Spécialement au LPEE. Comme je trouve ça injuste, je commets l’erreur de m’emporter, en lui retournant le compliment.: c’est eux les algériens qui ne font rien de bon au LPEE, sinon dépenser l’argent des pays bailleurs de fonds, comme la France!
A commencer par Si Hakimi, qui vient d’acheter une luxueuse Citroen DS 21, bleue vif, qu’il vient d’acheter sur le compte de la France. Ce qui n’est sans doute pas inexact.
Là dessus M’jahed abdique, mais me précise avant de claquer la porte qu’il va rapporter mes propos à Hakimi.
Effectivement le lendemain, celui-ci convoque par téléphone, immédiatement dans son bureau.
Je monte à l’étage, frappe à la porte, et entre.
Hakimi: Monsieur Meyer, une seule question.:
« Est-il vrai que vous avez dit à M’jahed que je viens d’acheter une luxueuse Citroen DS 21, bleue vif, sur le compte de la France? et que nous nous amusons avec l’argent de la France? ».
« C’est vrai M. Hakimi, mais c’étais au sujet d’une dispute d’ordre général avec Mja’hed, sur la coopération France-Maroc. Une simple réplique sortie sous le coup de la colère.
Mj’ahed est toujours en train de nous fatiguer avec sa haine des étrangers.
Je vous serais reconnaissant de ne pas en tenir compte ».
 » Hakimi: monsieur Meyer, je me moque bien de votre opinion dont je n’ai que faire. Cependant vous allez quitter le pays. Je vais écrire à la Direction du Directeur Général du CEBTP à Paris, pour vous remettre à leur disposition. Vous pouvez d’ores et déjà préparer votre valise ». « Fin de l’entretien, vous pouvez disposer. »
Je sors et vais directement voir M. Mariotti, pour lui relater l’évènement. Il n’est pas surpris car il commence à connaître Mja’hed qui est entré la veille, fou furieux dans son bureau, en lui disant de quitter le Maroc, et en l’insultant de vive voix. D’ailleurs Mariotti, profondément choqué, en avait parlé à Hakimi, en exigeant que Mja’hed récuse ses propos et présente des excuses publiques devant tous les employés du LPEE . Et en concluant, « ce sera lui qui s’excusera ou moi qui partirait « . J’imagine que la situation était désagréable pour Hakimi, qui avait encore besoin de Mariotti pour diriger de-facto les activités du LPEE.
En m’entendant relater mes déboires, Marcel appelle Hakimi pour lui dire que ce Mj’ahed devrait être licencié sur le champ, avant qu’il n’ai dressé tout les marocains contre tous les français. Hakimi, réfléchit et lui demande de monter à son bureau. Marcel monte illico, espérant régler cette affaire et obtenir les excuses de Mja’hed, ou sinon son licenciement.
Un moment plus tard , Marcel passe dans mon bureau, et m’explique la situation. « Hakimi s’estime insulté par les propos que vous avez tenu à son égard ».  » je m’estime insulté par les propos que Mja’hed à tenu à mon égard ».
Hakimi suggère qu’ il n’y aura d’excuse ni de M’jahed, ni de Meyer. On fait comme si de rien était, la vie continue… »
Et Marcel conclue « je ne pouvais pas refuser…et pourtant j’y tenais à ces excuses »!
Je prie Marcel de m’excuser d’avoir été la cause de sa déconvenue. Et lui pose la question: « alors je reste ou je fais ma valise? »

Les activités hydrauliques se ralentissant, je décide de me concentrer à présent sur la géotechnique. Pour donner suite aux deux jours de formation que Marcel m’a dispensés, et aussi pour me rapprocher des autres francçais  puisque Orliac m’a repproché de m’en être tenu éloigné, jusqu’à présent.
Je participe donc à différentes études de fondations d’immeubles, de routes et ponts, de glissements de terrains….etc. Pour chaque étude, il y a au minimum un déplacement sur place. 

Par exemple avec Orliac, nous nous rendons à Fès où un glissement de terrain est signalé au dessus de la Medina, en rive droite de l’oued qui la traverse. Nous sommes accompagnés d’un géologue du BRGRM avec lequel je sympathise assez vite. De conserve, nous établissons le programme de reconnaissance géotechnique du site, qui offre une pente assez prononcée, donc impossibilité d’y en voyer une foreuse : des puits seront creusés à la main dans lesquels on prélèvera des échantillon de sol intacts, qui seront soumis à différents essais au laboratoire du LPEE. Une fois les caractéristiques mécaniques des sols connues, un calcul permettra de déterminer les mesures de confortement à prendre : souvent des tranchées draînantes pour évacuer l’eau du sol, principal facteur de glissements et parfois des murs de soutènement.

J’apprends à faire ces calculs et à rédiger les rapports aux clients.En mission à Rabat, je retrouve mon pote géologue au BRGM. Ses collaborateurs ne tarissent pas d’éloge sur lui, soulignant que malgré sa barbe, sa chevelure hirsute et son odeur de pipe froide, ce type est un des meilleurs géologues du BRGM. Il a fait ses preuves en Afrique au Cameroun, à Youndé la capitale, où il a été victime d’une tragédie familiale, la mort de sa femme – camerounaise – dans un accident de voiture. Déprimé, se réfugiant dans l’alcool, désespéré il met le feu à sa maison, et disparaît. Le BRGM et la police font des recherches et on finit par le retrouver errant, désemparé, dans les rues de Douala. 
Rapatrié en France, par le BRGM, il reste des mois dans une clinique psychiatrique, puis se portant mieux il finit par reprendre sa place au sein du BRGM qui le nomme chef de l’agence de Fès, où il réside depuis 3 ans. Parfois, tard le soir, vers il monte prendre un verre à l’hotel des Ahlmoades , et vers minuit il se rend sur une petite plate forme qui domine la médina. Et là, m’explique-t-il :
« dans le silence du sommeil de milliers de personnes, j’imite pour le plaisir, les hululements du chien. D’autres chiens me répondent, et d’autres répondent aux autres…etc. En cinq minutes toute la médina est révéillée. »
Bon, je comprends que finalement il n’est peut être, sans doute  pas tout à fait guéri…

Pour en revenir à Casa , je reste souvent dans mon bureau à travailler sur les calculs. Ils sont faits manuellement, avec la règle à calcul, car à l’époque car les calculettes n’ont pas encore émergé, il n’y a que des petites machines à manivelle, inventées par Pascal avant 1663). Finalement je préfère de beaucoup l’action telle qu’on la pratiquait avec mes collaborateurs ces derniers mois, au barrage de Tindouf, en mer ou dans les ports,  à Marrakech ou dans le bled, sur le canal de Rocade. 

Alors de temps en temps pour me changer les idées, je quitte mon bureau dans l’après midi pour me rendre dans un des….boxons de Casablanca, pour m’y livrer à mon activité favorite. A ma demande un de mes amis marocains m’y avait conduit et présenté au patron qui m’assurait avoir ici le meilleur choix de Casablanca. Ce n’était pas vrai, et le niveau intellectuel n’était pas très élevé, c’est le moins qu’on puisse dire. Enfin je n’y venais pas non plus pour une conférence littéraire, et je garde de cette période le souvenir d’une jeune femme (ou fille ?) de 18 ans avec laquelle j’avais mes habitudes. Mais finalement je laissais tomber en constatant un beau jour qu’elle avait plein de boutons sur les fesses !

De plus mes escapades commençaient à faire jaser au LPEE, et il me fallait donc agir plus discrètement sans doute en dehors des heures de travail. 

Un beau matin, sortant du quartier CIL, au volant de ma R12, pour me rendre en ville , au travail, vue la densité de la circulation on roule lentement et je remarque sur ma droite une jeune femme, marchant d’un pas décidé, le long de la route. No comment, je vais au boulot !….Quoique, un coup d’œil dans le rétroviseur me confirme sa bien belle allure. Je vais essayer de brancher, mais je suis passé devant elle, et vue la circulation je ne peux ni reculer, ni même l’attendre. J’avance donc et la perds de vue. « Tant pis, une de perdue, dix de retrouvées. »
Néanmoins l’opportunité d’un demi-tour s’offre à moi, et roulant à présent en sens inverse , je retrouve la belle sur la gauche, mais impossible de s’arrêter. Je m’èloigne donc à nouveau d’elle, pour effectuer un demi tour à nouveau. Mais ce faisant je l’ai à nouveau perdue des yeux. « Si je la retrouve, Inch Allah, ce sera un signe du destin ». ET je la retrouve, là devant moi. Je ralenti, ouvre la portière, « Taxi, mademoiselle ? ». La voilà qui monte à coté de moi. « Bonjour, je m’appelle Ahlam ». « Bonjour je m’appelle Xavier, ravi de te rencontrer , je vais en ville, et toi ? » « Comme tu veux ». OK, alors on va prendre un café, place de l’Indépendance, à coté des planches. La conversation est agréable, vive, distinguée, elle est étudiante et libre comme l’air car nous sommes en été. 
« Je suis ingénieur et libre comme l’air car je vais au travail. On se revoit ce soir, à Ain Diab sur la corniche ?  Au restaurant « la Skala »? à 6 heures. OK?» « OK ».
Allez on s’embrasse et à ce soir. En effleurant mes lèvres sur sa joue, je perçois à travers le velouté de sa peau, que nous allons bien nous entendre.

A 17 heures nous sommes tous les deux au bar de la Sqala, nous n’avons pas envie de nous perdre de vue. Ahlam se commande un thé à la menthe et moi un pastis. Puis d’entrée, bille en tête, ma future chérie me prévient qu’elle a un problème, que nous pouvons, si je veux bien, régler tout de suite. Voilà, elle habite chez un couple de français: son prof de Fac, et son épouse. Elle est hébergée, mais lorsqu’ elle veut sortir le soir avec une homme, elle doit d’abord leur présenter l’heureux élu.
« OK, Ahlam, si je comprends bien, je suis l’heureux élu? » 
Avec un grand sourire : « Oui, Xavier tu es l’heureux élu. »
« Alors allons y tout de suite, et vite. »
Et nous voilà parti, direction le CIL, car le prof habite dans le même quartier que moi…
Je gare devant un grand immeuble, l’ascenseur, et la sonnette à la porte. C’est le prof qui vient ouvrir et paraît un peu surpris de voir « sa petite protégée » (c’est ce qui me saute aux yeux) accompagnée d’un charmant jeune homme, 30 ans à peine. Il a une barbe rouge et ressemble à un corsaire.

Ahlam explique, lentement avec attention, comme si elle craignait quelque chose, notre rencontre de ce matin, et sa décision d’accepter mon invitation ce soir à la Sqala, un des restaurant les plus chics de la ville. 
Le prof encaisse le coup, mais nous invite à prendre un verre, et avec subtilité, il enquête sur moi. Au lieu de parler de la pluie et du beau temps, comme il sied en pareille circonstance, il me pose des questions indiscrètes….Je réponds en enjolivant un peu, et du coin de l’œil je remarque que son épouse fait une drôle de tête.
Puis le prof demande à Ahlam à quelle heure elle va rentrer. Il est embarrassé, ses paroles sont ampoulées, et il insiste sur l’heure de son retour.
Sa femme fait de plus en plus une drôle de tronche…
Puis finalement il me demande si j’ai l’intention de revoir Ahlam après cette soirée ? J’acquiesce: « très volontiers ».
Un temps de silence, puis il dit à Ahlam: « n’oublie pas ce que tu m’as dit: tu dois penser à tes études ».
 
Mais là son épouse explose, littéralement explose:
 » Mais putain, laisse la partir cette pute. Dégage, taille toi, salle conne ».
C’est la crise de nerfs. Elle hurle et ça résonne dans l’appartement; elle hurle et réclame le calme !
Elle a besoin de calme hurle-t-elle encore, et ça résonne dans tous l’étage…..etc. A travers ses borborygmes je crois comprendre qu’ Ahlam est impliquée. 
Le prof, quant à lui est stupéfait, terrassé, anéanti. Son ménage à trois n’a pas fonctionné. Il est en train de perdre son rêve, sa princesse, « Ahlam » et va se retrouver seul face à sa vieille épouse.
Et je pense tout bas: Prof, la vie passe, c’est comme le poker: la main passe…
« Un jour tu gagnes, un jour tu perds.
Un jour tu ris, un jour tu pleures ».

 Moi, je n’aimerai pas être à sa place.

Je saisi Ahlam par le coude, et nous amorçons une prudente retraite, j’ai le temps de voir l’épouse bafouée, saisir des livres dans la bibliothèque et les jeter de toutes ces forces sur la tête de son mari.

Et nous sortons avec dignité du champ de bataille.
Fin de la représentation. Rideaux.

Nous montons dans la voiture et nous dirigeons vers le restaurant. Assis devant une bonne bouteille de Boulaouanne, j’essaye d’oublier ce qui vient de se passer et me concentre plutôt sur l’avenir.
Ahlam, est navrée pour ce qui vient de se passer. « Ce matin même j’ai eu droit à la même scène. C’est pourquoi je suis allé marcher sur le bord de la route, et par chance tu es venu vers moi. C’est vrai ça fait trois semaines que je vis chez eux. C’est intenable: ». Comme je suis un gentil garçon, je ne lui demande pas si elle couchait avec lui. Elle me dira plus tard, que tous les soirs il tentait, mais que tous les soirs elle refusait.
Et il est prof de quoi? De philosophie.
Et elle ? Elle dit le catéchisme à la mission.
Ah bon, tout s’explique, alors. Et on rigole un bon coup.
L’atmosphère est détendue. Et je ne peux pas rêver meilleur repas que celui où je sais que ma jolie convive sera ce soir dans mon lit.
Et demain? on verra plus tard. Pour le moment nous profitons de l’instant présent, Alham et moi, ici et maintenant.
Et tout à l’heure, au lit et sans vêtements.
Ahlam me parle d’elle, de sa jeunesse, de ses études, elle vient d’avoir son Bac, et est en première année de Fac.
Puis je lui parle de moi, j’adore ça, de ma vie, de Tahiti.
Comme je commence à connaître le Maroc, et l’Islam, elle me demande si je crois en Dieu? et puis alignant les verres de rosé les uns derrière les autres, je commence à délirer…bla, bla, bla…Ahlam est aussi un peu pompette, on blague et on déconne jusqu’à la fermeture du restau. Allez, on va chez moi, passons aux choses sérieuses, OK Ahlam?
OK, Xavier, passons aux choses sérieuses…définitivement, si on me demande dans quel pays trouve-t-on les plus jolies filles, je réponds, au Maroc, bien sûr.
Eh, bien devant moi, nue et détendue (elle, car moi je suis plutôt tendu) elle ne me fait pas changer d’opinion. Elle pose un disque de musique arabe et me délivre une belly dance (danse du ventre) d’enfer. Pour ne déranger personne je ne donnerais pas de détail sur la nuit que nous avons dansé ensemble dans le lit, et qui s’est terminée au lever du soleil….
Voilà, je dépose Ahlam à la Fac et moi je retourne me coucher, épuisé , mais au combien heureux.
En fin d’après midi Ahlam me rejoint à la maison, et m’indique qu’elle doit retourner chez son prof pour récupérer ses affaires, et les amener chez moi si je suis d’accord? OK, pas de problème, je t’emmène là bas et on ramène tes affaires…Devant l’immeuble je l’attend au parking et un quart d’heure après elle ressort avec un grand sac de voyage. Ça tombe bien, j’ai l’intention de l’emmener
en voyage, tous les soirs et même deux fois dans la journée: destination le 7ème ciel. D’ailleurs on remet le couvert dès notre arrivée à la maison. Puis Ahlam me raconte que ça c’est bien passé pour le retrait de ces affaires, chez le prof. Lui, fair play, lui a souhaité bonne chance, quant à sa femme elle n’a pas pipé mot.

Pendant un mois, je l’emmène avec moi lors de tous mes déplacements, à Tanger où le levé bathymètrique pour l’extension du port actuel est en cours, puis sont aussi planifié la bathymétrie d’un site pressenti sur l’Atlantique, à proximité, et aussi d’un autre site sur la méditerrannée. Car le grand port Tanger Méditerranée est à l’étude.
Parallellement des centaines d’éoliennes immenses sont en cours de montage sur les montagnes du Rif qui dominent Tanger. Une autoroute traversière est également en cours d’études au LPEE, pour la géotechnique et les revêtements bitumineux.
Le Maroc est clairement engagé sous la conduite du roi, sur la voie du développement.

Ahlam et moi nageons tous les deux en plein bonheur. Un ingénieur du LCHF (laboratoire central d’hydraulique de France) arrive de France pour superviser les bathymétries autour de Tanger. Il s’appelle Alain et devient un très bon ami, et nous sortons ensemble lors de nos déplacements à Tanger. Les restaurants et les nights clubs de Tanger et de la petite cote touristique jusqu’à Al Hoceima n’ont plus de secrets pour nous. On bosse mais on profite de l’existence aussi. Et on entraîne Ahlam avec nous.
Pour moi, un voyage un peu semblable a celui effectué avec Gordana en 1969. Je retrouve avec émotion la plage de l’hôtel Mohammed V à Al Hoceima, et la cabine de bain, où Gordana m’avait taillé, par surprise, une pipe sous la douche à la sortie du bain. On a les souvenirs qu’on mérite. Mais ça, c’était au cours d’une vie précédente.

Cependant malgré l’amour que je portais à Ahlam, je ne lui étais pas fidèle à 100%.
Une seule incartade: du punch, du culot, de l’humour:

Il est 8h du matin, à Casablanca. Je descends de mon appartement, 5ème étage, place de l’indépendance, me fais cirer les chaussures par un gamin dont c’est le métier, en lisant le journal qu’il met à ma disposition. Clac, clac c’est fini, mes chaussures brillent d’un nouvel éclat. Je lui tends les pièces pour son travail bien fait. Enfin je monte dans ma voiture et prend la direction du Laboratoire public d’essais et d’études (LPEE), situé en sortie est de Casa. Il n’y a pas encore grand monde dans les rues. Mon regard est attiré par une jeune femme qui sort d’un jardin, du côté droit de l’avenue. Elle est belle, jeune, nette et claire, habillée à la traditionnelle, longue djellaba, et coiffe sur la tête. Son visage est engageant et elle me sourit.
Ni une, ni deux je m’approche, entr’ouvre la porte et l’invite à monter. Où aller, pour nous livrer au joli jeu du pousse avant, que nous désirons tous les deux? Sur ses indications, je prends la route nationale Casa-Rabat (pas encore d’autoroute, à l’époque). Quelque km après la sortie de la ville, nous bifurquons à droite sur une piste en terre qui monte doucement vers un rideau d ‘arbres, des ifs. Je me gare au pied de l’un d’eux, à droite sur la piste. Nous faisons quelques pas, en longeant le rideau, vers un buisson qui nous masque à la vue d’éventuels indiscrets (des voyeurs, quoi!). Je l’embrasse, elle sent bon, sa peau blanche est douce…La voilà qui retrousse sa djellabia, se penche en avant, ses mains prenant appui sur le tronc d’arbre. Je m’introduis en elle, et me concentre, attentif à tirer, et à donner le maximum de sensations, de plaisir de ce keecky matinal, inopiné, carrément miraculeux.
Le temps passe, au gré de distrayantes positions, puis à deux doigts de conclure je jette un regard en arrière.

Horreur et putréfaction!

En marche arrière, ma voiture est en train de descendre, doucement la pente, laquelle débouche nous l’avons vu, à angle droit sur la route nationale la plus cirCULée du Maroc!
J’agis par réflexe, parvient à remonter mon pantalon que je tiens d’une main, et cours vers la voiture en claudiquant. Celle-ci prend de la vitesse peu à peu, cependant me voilà sur son coté, et j’essaye d’ouvrir la porte avant, ce n’est pas très facile, car elle s’ouvre à l’envers, puisque la voiture descend la pente en marche arrière, et je n’ai qu’une main de disponible, l’autre tenant le pantalon! Bon, par miracle (le deuxième en peu de temps!), je finis par y parvenir! Et je me rue sur le frein à main.
Sauvé!
Je serre bien fort le frein à main. Claque la portière. Puis je remonte à grands pas rapides et nerveux, vers ma cavalière.
Je la reprend, et sur un rythme rapide, effréné et profond, la saisissant par sa crinière pour mieux mêler ma langue à la sienne, je me libère sauvagement, en un coup, de tout mon stress, et de tout mon sperme!
Et nous nous étreignons. Magnifique union, magnifique sensation. Le danger, la peur avait réellement sublimé cette expérience sexuelle. sexuel. Expérience sensuelle inoubliable.😏😄🍵.

Puis finalement alors que je n’y pensais même plus, la secrétaire de Si Hakim me remet ma lettre de licenciement, qui me laisse un mois pour déménager.
Je signe son registre, la lettre, dont je me souviens 35 ans après. En voici le texte:

 » Cher Monsieur Meyer,

Après deux années de collaboration fructueuses nous vous remettons à disposition de votre Direction, le Centre Expérimental du Bâtiment et des Travaux Publics, rue Brancion, Paris.

Nous garderons de vous le souvenir d’un ingénieur dynamique et dévoué qui nous a aidé à monter de toute pièces un service d’hydraulique spéciale puis générale, promis d’ores et déjà à un bel avenir au sein de notre Laboratoire Public d’Etudes et d’Essai.

Vous souhaitant bonne continuation de votre carrière, nous vous priions d’agréer, mon cher Meyer, l’expression de toute notre considération ».
Signé: le Directeur Général du LPEE.

Licencié avec des fleurs !
Comme le bruit courait au bureau que renvoyé du Maroc, je serai renvoyé du CEBTP, ça Hakimi ne le voulait pas !
De plus Deancausse avait mobilisé le Syndicat des travailleurs du CEBTP, affilié à la CFDT. Viscéralement contre tout licenciement, quelqu’il soit.
Je pouvais donc rentrer en France relativement serein.
Je vais du reste, apprendre ma nouvelle affectation au LBTP à Tahiti. Sans doute satisfait du déroulement de mon premier contrat, Michel Becker le nouveau Directeur avait agréé ma candidature.
Et il me restait un mois pour organiser mon départ du Maroc et mon retour en France.

Et préparer ma séparation en douceur avec Ahlam. Ce ne sera pas facile, ni pour elle, ni pour moi.
Je lui apprends d’abord que je suis marié depuis deux ans avec une tahitienne. qui m’a donné un fils, il y a juste un an.
Et que l’on me propose un poste à Tahiti….

Pas de problème, pour elle. Elle a une positon de repli chez un pied-noir.

Un mois plus tard, désirant la revoir une dernière fois avant mon départ, je me rends à sa nouvelle adresse…Au 2ème, je toque à la porte, pas de réponse. Je retoque, rien. Retoque encore, rien. Une dernière fois…..
C’est la voie enjôleuse de ma chérie: « Xavier? ». Elle ne m’ouvre pas et parle et j’entends à travers la porte. Et je lui réponds donc à travers la porte…Bonjour Ahlam, je suis venu te faire la bise (hum…, serait-ce un euphémisme?) une dernière fois. Je pars demain, je rentre en France, et après…Tahiti. Silence tandis que j’entends une bruit de douche à travers la porte.
« Ecoute Ahlam, c’est juste pour te faire un bisous ». (Précision à toutes fins utiles).
Un voix mâle s’élève dans le lointain: « Ahlam n’ouvre pas la porte, et dis lui de s’en aller! »
Et s’adressant directement à moi « Xavier (tien il connaît mon prénom..) « surtout n’essaye pas de forcer la porte, sinon je te casse la gueule »
Là dessus Ahlam, me dit au revoir et retourne au….au lit!
Ma souffrance est immense et je pousse la porte. Surprise elle s’ouvre toute seule et sans bruit. C’est Ahlam qui s’approche et me présente son nouveau boy-friend:
Michel, encore un pied-noir, la trentaine bien sonnée, un appart superbe, meublé avec goût, et une belle voiture de sport aperçue au parking.
Et moi, ingénieur pour les barrages et le ports.
Paradoxalement on discute de la pluie et du beau temps, du boulot de chacun….on boit quelques bières bien fraîches …etc.
Bon, le moment de partir est arrivé: j’embrasse pudiquement Ahlam sur les deux joues (mais je me souviens de toutes les bonnes baises qu’on a eues ensemble). Et on se quitte bons amis.

Mais finalement Michel me demande:
« Comment t’es rentré dans l’appart tout à l’heure ? »
 » Ben, j’ai forcé la porte, d’ailleurs elle n’a pas beaucoup résisté »
 » Zamel! In awaldik! Xavier, tu as de la chance, je pensais que c’était Alham qui t’avait ouvert! » … »si j’avais su, j’te cassais la gueule ».
 » Michel, c’est pas grave…j’te trouve sympa, tu sais. Allez bonne bourre, et à la prochaine ».
« Xavier, moi aussi j’te trouve sympa. A la prochaine! »

Finalement si on avait été homo, on aurait pu faire un beau couple! Wallaye!

Oum Khaldoum ?

(ndlr: au Maroc, Zamel est une injure, mais ce terme s’applique à un homosexuel qui tient, à la ville comme à la campagne, le rôle de la femme. (-:)




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