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Niger

Tonton Jean 2

Avant de se diriger vers la Guinée, le patron nous suggère d’aller faire un tour au bout de la piste qui longe le bord de mer. Nous y voyons à l’ouvrage des pêcheurs guinéens ainsi que les plantations d’hévéa et de palmiers à huile.
Pour aller à Nzérékoré, la préfecture de la Guinée forestière, nous allons, remonter la Cote d’Ivoire, plein nord, en empruntant la route suit la frontière du Liberia. Et en espérant ne pas y trouver les rebelles, car c’est on est en pleine guerre civile entre libériens. Nous atteignons finalement Man, la ville frontiére avec la Guinée. Là, les douaniers ont décidé de nous escroquer de l’argent. Ils refusent de nous laisser passer, sous des prétextes divers. Et finalement, je dois allonger un billet rouge (encore un!) pour franchir sortir de C.I. Il reste maintenant à passer le poste de contrôle. J’explique que j’ai participé avec le HCR, pendant 18 mois passés à Nzérékoré au programme d’assistance aux réfugiés du Liberia et de la Sierra Leone, que j’ai quitté il y a un an.
Je reviens à titre privé, accompagné de mon oncle et de mon chauffeur, pour voir comment la situation a évolué. Mon passeport bleu des UN achève de les convaincre de nous tamponner les passeports. Tout est en règle, mais la nuit proche et la piste est fermée. A juste titre car il reste une distance à parcourir dans une zone qui n’est pas vraiment sûre. Les douaniers nous suggèrent de nous établir sur le parking à côté de leur poste.
OK, Sido nous installe nos lits picots, lui dormira dans la voiture, et nous fouillons dans nos provisions pour un repas frugal.
Et finalement nous passons une bonne nuit, près d’un puits où nous allons nous nettoyer, puis parmi les chèvres et les vautours, nous trouvons le sommeil.
La nuit est particulièrement calme, et Jean est réveillé par une chèvre qui lui broute les pieds.
M’étant réveillé, le premier, j’étais en train de puiser l’eau du puits pour me rincer la tête, lorsque une villageoise arrive et commence à crier pour me faire payer pour le seau d’eau. Paradoxal pour moi qui ai consacré ma vie à l’alimentation en eau des villes et des campagnes! Et qui ai
fait réaliser 200 forages pour des villages de la préfecture. Un douanier vient pour la faire taire.
Une douanière arrive, portant dans ses bras son bébé qui me dit-elle est malade; elle me demande un médicament. Je fouille dans mes affaires et lui remets deux cachets d’aspirine. Un demi pour tout de suite, et l’autre dans une demie-heure. Pas facile à expliquer! Depuis que je connais Marcel, infirmier de brousse à Nzérékoré, je sais que l’aspirine est un bon remède pour les maladies bénignes. S’il ne soigne pas forcément, au moins il soulage en faisant tomber la fièvre. Ajoutez y aussi l’effet placebo supérieur:
« si le blanc le dit, c’est que c’est vrai! ».
Nous prenons un petit dej dans une boutique mobile, café au lait et huile rouge sur une tranche de pain. Puis nous nous préparons, nous reprenons la piste. La douanière est là, qui nous ouvre la barrière en expliquant à tous que je suis très gentil.


Nzérékoré

Il faut mieux entendre ça que d’être sourd! Chemin faisant nous traversons de nombreux villages: Lola, Soromiata 1, Sorimiata 2, ..etc où les villageois animistes adorent et nourrissent de gros poissons (des loches?)…. puis nous finissons par arriver à Nzérékoré et nous allons tout de suite au bureau du HCR. Quelques uns me reconnaissent. Je prends des nouvelles des autres. Et du programme qui s’est bien étendu depuis mon départ, l’an dernier. Ensuite nous rencontrons un médecin sans frontière qui nous prête sa maison car il est en partance pour Conakry.
Puis nous passons au quartier Nian Soukoura, pour prévenir ma chère Marcelline, à qui j’avais promis lors de mon départ il y a un an, de venir la rechercher à Nzérékoré. Puis nous allons tous au restau pour le repas du soir.
Marcelinne paraît assez contente de me voir. Je ne sais plus où, mais je me souviens, nous avons tous les deux sacrifié aux protocoles intimes des retrouvailles. Puis elle rentre dormir chez elle. Je réalise que nous n’avons plus grand chose à partager, mais je suis un peu mortifié de devoir la quitter dès demain matin. Je réglerai tout ça, par téléphone quand je serai revenu à Niamey!
Ça, j’en ais déjà parlé plus haut.
Tonton gens passe une nuit plutôt désagréable, je vais vous dire pourquoi!
Au milieu de la nuit, il tambourine, fort, sur sa porte. Éveillé, je me lève, et il me parle de l’intérieur de sa chambre, à travers la porte fermée à clé. Actionné par un besoin urgent, il ne trouve plus cette foutue clef; il a beau la chercher fébrilement vues les circonstances, il ne la trouve toujours pas.
Il me supplie de lui ouvrir la porte.OK, mais moi je ne l’ai pas la clé! Il faut souligner que cette scène, se passe dans l’obscurité, l’électricité est éteinte la nuit à Nzérékoré. Cependant avec ma lampe-torche j’essaye de trouver une éventuelle clé de rechange.
J’entends Jean: « Xavier je t’en supplie dépêche toi! ». « Depêche toi, allez, stp ».
Puis soudain plus rien. Le calme est revenu…Jean, ça va? Et sa réponse, désolée, « oui ça va, enfin, si l’on peut dire! »
Bon, je retourne me coucher, et lui aussi..
Le lendemain matin, il est le premier à sortir de sa chambre, on le comprend!
Il avait enfin, mais un peu tard, retrouvé sa clef.
Maintenant la situation est embarrassante, il nous faut sur le champ, une technicienne de surface pour nettoyer. Sido cherche et trouve. Pour ne pas nous retarder, car, aujourd’hui la route sera longue, je la paye d’avance: deux billet rouges pour laver toute la maison. J’espère bien que le MSF qui nous l’a prêtée, la retrouvera en bon état, à son retour de Conakry.
Voilà, cette longue description, c’était pour décrire un des aléas de notre périple en brousse! Et aussi la solidarité entre gens de l’Humanitaire.
Merci de votre attention.

Une nouvelle fois nous voilà en route, encore un peu embrumés, dans notre Toyota. Nous quittons Nzérékoré, en laissant sur notre droite la forêt sacrée.

La forêt sacrée.

C’est un lieu où, arrivés à l’âge de 10 ans, les enfants forestiers vont être cantonnés pendant six mois. Sans jamais en sortir.
Des anciens les rejoindront à tour de rôle pour leur apprendre la vie en forêt, élément essentiel de la Tradition. La pêche, la chasse et la cueillette, la cuisine et les feux de bois, la construction de huttes, de meubles et de….ponts suspendus, l’art le plus noble dans la forêt.
Les bêtes sauvages, la course et l’escalade dans les arbres refuges. Les pistes à suivre et à les animaux à poursuivre. Les déplacements alertes et silencieux, le jour ou la nuit, et la vision nocturne, l’art de dormir sur ses gardes. La fabrication des outils et ustensiles, des tenues vestimentaires. La marche à pieds, et les soins, les baumes naturels.

Les relations avec la nature, le respect et le dialogue avec les arbres et la canopée. Leurs habitants, serpents, reptiles, oiseaux, abeilles. Leurs racines, troncs, feuilles et fruits. Leur psychologie (certains toubabs éclairés la recherche de nos jours, la psychologie des arbres). La culture et l’agriculture.
Les lions, les biches, gazelles, audalisques,
les hipopotames, les crocodiles et les girafes…les petits et les grands singes, bonobos, gorilles, orangs-outangs…
Le jour, la nuit, les étoiles, la confection des tenues vestimentaires.
Et aussi la connaissance des leurs multiples dieux animistes. Sans oublier les arts, danse, musique, sculptures, et z’oratoires..

C’est la l’histoire de vie de leurs ancêtres qu’ils ne feront qu’effleurer en six mois, mais qu’il n’oublieront pas de toute leur vie. En découvrant leur essence originelle lors de ce séjour prolongé en forêt, ces enfants forestiers pré-adolescents aurront acquis une base solide pour construire leur existence future.
Sans critiquer notre mental occidental, qui nous perd cependant souvent dans les méandres de l’introspection, nous découvrons les cerveaux forestiers avec leurs algorithmes, leurs réflexes fondés sur les émotions, la faim, la peur dans la forêt; mais ils auront développé aussi des facultés de coopération et l’entr’aide, et aussi dès à présent d’une intuition augmentée.

Sur un plan neurologique, ils aurront actualisé dans l’inconscient collectif de leur groupe, les archétypes préhistoriques remontant de leurs cerveaux reptiliens.
Celà ne les dispensera pas évidement de rejoindre l’école publique et moderne.
Parés pour un changement de paradigme? Alors en avant, aujourd’hui, c’est la fête, la sortie de la forêt sacrée, devant la population en liesse. Les retrouvailles avec les parents, les voisins, les adultes, les copains. Et les autres…



En route vers Labbé

Maintenant revenons à notre voyage.
Une fois passé, à toute vitesse, la forêt sacrée, nous sommes sur une piste non goudronnée pour une centaine de kms, jusqu’à Seredou. La vitesse de croisière tombe alors à 40 km (quand il ne pleut pas, sinon c’est imprévisible).
Deux heures après nous retrouvons le goudron. Nous n’irons pas à Conakry car nous devons passer la frontière pour le Sénégal, à Labbé.
Donc, bifurcation à angle droit à Faranah sur la route de Labbé. Nous traversons une zone de plateau et gagnons en altitude. De part et d’autre de la route, de nombreuses termitières, en forme de grands champignons, et des fleurs étranges que Jean prends en photo.
Nous avançons rapidement et atteignons un gué, il faut passer une rivière, à une cinquantaine de km, avant Labbé, notre destination finale de la journée.
Nous prenons le bac, sans avoir attendre des heures, comme c’est souvent le cas.
Un Guinéen d’importance (ça se voit à ses habits – il transpire dans une chemise blanche; et son air sûr de lui!) m’aborde et me demande si nous pouvons le prendre en stop et le déposer à la préfecture. J’accepte et lui dit de nous rejoindre à la descente du bac. Or, le bac arrivé, nous l’attendons et il ne vient pas Où est-il passé?
Finalement je démarre, et alors que nous avons déjà parcouru 50 m. je le vois dans le rétroviseur qui s’agite et nous fait signe.
Il est resté près du bac!
Lassé de l’avoir attendu, je taille la route. Il pourra toujours prendre un taxi.
Une heure plus tard nous entrons dans la ville de Labbé. Le panneau indicateur à été remplacé par une belle statue de girafe, taches brunes sur robe jaune.
Notre hôtel est à proximité. Chacun sa chambre, chacun sa douche et ses vêtements propres. On se retrouve au bar, pour une ou deux bières fraîches, chacun.
Un officier en uniforme nous salue, et comme il est souriant, nous nous installons près de lui, et décontracté, j’engage la conversation. Après les présentations d’usage, j’oriente la conversation vers le HCR et le programme d’assistance aux réfugiés, soulignant la croissance rapide de Nzérékoré, qui
en résulte. Je parle de moi, j’adore ça, des 200 forages dans les villages des constructions d’abris et de latrines familliales avec et pour les réfugiés. Puis j’enchaîne sur l’aide au développement de la Guinée Forestière, qui va suivre le programme d’assistance aux réfugiés, et est d’ores et déjà plannifiée. Les Nations Unies et l’Union Européenne vont s’y atteler, dès le retour à la normale. Il est ravi de ces bonnes nouvelles*, et j’en profite pour me renseigner sur la situation dans la préfecture de Labbé. On parle des villes, des villages, de leur alimentation en eau, de l’électricité, des infrastructures….. C’est intéressant pour moi, et ça pourrait m’aider dans ma prochaine recherche d’emploi, si je voulais rester en Guinée…

*(qui malheureusement ne se concrétiseront pas, les belligérants du Liberia et de Sierra Leone s’étant infiltrés durant les trois dernières décennies, non seulement dans la préfecture de Nzérékoré, mais aussi jusqu’à Conakry où des manifestations meurtrières se déroulent, à l’heure où j’écris ces lignes).

Enfin, je lui indique que dès demain, à 8 heures nous seront au service des douanes, pour y faire tamponner nos passeports. Il se propose d’y passer lui même, pour nous aider dans nos démarches.
Nous prenons congé, et passons à table.
Puis nous allons dormir. La journée a été longue, et nous avons beaucoup roulé, d’un bout à l’autre de la Guinée. Rideau, dodo!

Le lendemain matin, debout de bonne heure, je vais marcher un peu, dans le quartier. Une petite reconnaissance des lieux, que je pratique souvent, pendant que les habitants émergent à peine du sommeil.
Les rues sont désertes, mais je croise quand même un militaire en tenue kakie. Salam, salam…, et nous discutons. En fait mon interlocuteur, mine de rien, mène un interrogatoire serré. Déformation professionnelle?
D’où venons nous? qui sommes nous? où allons nous? Je lui retourne, mine de rien, les mêmes questions. Il détourne, et répond plutôt dans le vague…
Où allons nous? Eh bien, nous allons au Sénégal et serons donc au service des douanes vers 8 heures.
Bien! Au revoir et bon voyage !
Au revoir et bonne journée.

Le général Tonton Jean

A 8 heures, nous garons notre véhicule, à l’entrée du service. Sido reste dans la voiture avec Tonton Jean, peu soucieux d’attendre dans les bureaux…
On me demande d’abord de remplir les formulaires d’usage, complets, complexes et intrusifs. Puis on m’introduit, ensuite dans le bureau du directeur des douanes. La discussion s’engage, par un interrogatoire détaillé, mené sur un ton autoritaire par le directeur. Je n’apprécie pas, mais j’en ai vu d’autres. J’en ai passé des douanes, à pied, à cheval ou en voiture (et en avion)… On avance on verra bien!
En biaisant, le Dur, le dirlo, le directeur aborde un sujet important. Avons nous des francs guinéens à déclarer? A vrai dire je m’attendais à cette question, mais je pose la mienne, pourquoi?
« Parce que l’exportation en est interdite. S’il vous reste de l’argent vous devez le déposer. Ici même! Maintenant!
« Ben, voyons, c’est si simple!  » Me suis-je dis intérieurement.
La discussion se tend, et c’est alors que rentre dans son bureau, son secrétaire.
Le Dur lui tend nos passeports et les formulaires dûment remplis. Coup de théatre: le secrétaire s’avance vers moi, me tends chaleureusement le main et avec un large sourire: » M. Meyer, alors vous revoilà, bienvenue à Labbé! ».
Le directeur interloqué: « Vous connaissez M.Meyer? »
Le secretaire: « Mais bien sûr, nous avons travaillé ensemble à Nzérékoré, pendant un an, alors que j’étais secrétaire du préfet ».
Je ne me souviens pas précisément de lui, mais je me rappelle avoir été invité à un dîner privé avec le préfet de Nzérékoré, sa femme, et queques membres de son bureau. Quelle coïncidence! La Baraka se manifeste à nouveau.
La discussion se poursuit, loin des deniers que le directeur des douanes, voulait nous prélever.
C’est alors qu’un chaouch entre dans le bureau (un portier, dont le rôle est d’introduire les visiteurs, mais bien plus important, il est préposé à la préparation du thé à la menthe, servi à longueur de journée. Les guinéens sont pour la plupart musulmans).

Le directeur: « oui? ».
Le chaouch: « un officier de police demande à vous voir ».
Le directeur: « faite entrer.  » Salamaleikum! C’est à quel sujet? ».
L’officier  » au sujet de M. Meyer »
Le Directeur, étonné: « vous connaissez M. Meyer ? ».
L’officier: « oui, et nous avons eu une discussion très intéressante, hier soir.
Tout se passe bien pour les formalités, n’est ce pas? ».
Le directeur: « oui, bien sûr, pas de problème! »

Toc, toc, toc, qui frappe à la porte?
Le chaouch: « le colonel est là, il veut vous voir. »
Le colonel entre, dans sa tenue kakie.
Le directeur: « c’est à quel sujet? »
Le colonel « au sujet de M.Meyer »
Le directeur abassourdi:  » vous connaissez M.Meyer? Mais il est arrivé hier soir seulement ! »
Le colonel: « Bien sûr, je l’ai rencontré ce matin, à 6 heures, dans la rue, il faisait son joking! A propos tout se passe-t-il bien pour les formalités? »
Le directeur: « oui, oui, bien sûr, pas de problème! »

Toc, toc, toc, qui frappe à la porte?
Le chaouch:  » un officier français demande à vous voir ».
Le directeur:  » un officier français! Ah, je comprends, c’est au sujet de M.Meyer? »
Le chaouch: « oui Monsieur le Directeur, au sujet de M.Meyer ».
Le directeur: « faites entrer ».
Et là nous voyons arriver Tonton Jean, souriant , avec son vieux blue-jean délavé, un peu raidi par le voyage, son sac en bandoulière, et sa démarche un peu hésitante.
Jean:  » Bonjour messieurs, je me présente: Genéral Revel, retraité de l’armée française ».
Le directeur, son secrétaire, l’officier de police, et le colonel, tous au garde à vous:
 » mes respects, mon Général ! ».
Jean: « Repos, messieurs. Tout se passe-t-il bien pour les formalités? « 
Puis Jean explique qu’attandant dans la voiture, il avait trouvé le temps un peu long, et s’était permis de rentrer.
Pour les guinéens ici présent, un général français on n’avait pas vu ca depuis De Gaulle, avant l’indépendance.
Le chaouch nous sert le thé à la menthe…
Les conversations vont bon train, on discute, on rigole, Jean parle de sa carrière de militaire français, de ces campagnes, moi de mon job d’ingénieur, et Sido qui nous rejoint nous parle du Niger, et des nigériens. Mais, les guinéens ne sont pas de reste et ils évoquent avec nostalgie le bon vieux temps de la présence française. Un bel échange interculturel !
Tout le monde est content, le directeur s’est détendu….. et nos passeports sont tamponnés sur le champ, dans l’allégresse générale.
Ils nous accompagnent tous jusqu’ au 4×4.
Vigoureuses poignées de main, « bon voyage; nous sommes très honorés de votre visite mon général ».
Puis nous nous éloignons vers le Sénégal, vers de nouvelles aventures. Olé! Vive la vie!
Pour Jean, pour moi et pour Sido, c’était le point culminant de notre long voyage: un très bon souvenir de Tonton Jean.

« Tonton Jean, si tu nous écoutes de là haut, on pense à toi. Je sais que tu n’es pas près d’oublier ce très beau voyage. »

Le voyage continu au Sénégal
Oui, le voyage continu, et nous passons la douane sénégalaise sans encombres. Pas besoin de solliciter le général Tonton Jean.
Nous sommes presque en Casamance, et filons vers l’Est en espérant atteindre Ziguinchor, pour dormir ce soir à l’hôtel Aubert.
Au passage à Bignona, la fameuse place ombragée, où les voyageurs s’arrêtent volontiers pour déjeuner, retirer de l’argent au distributeur de billets, ou encore acheter des médicaments. Telles sont en effet les facilités disponibles que l’on trouve sur cette place centrale, à l’ombre des baobabs et des fromagers géants centenaires.
Hélas, phénomène unique, la place ombragée a été ravagée voici quelques mois par une tornade, et les arbres à la périphérie, se sont abattus, le fouillis de leurs troncs, et de leurs branches enchevêtrés, occupe toute la surface de la place. De plus le restaurant, la banque et la pharmacie ont été écrabouillés. Il n’y aurait pas eu de victimes, car ça c’est passé, vers trois heures du matin, dans un bruit infernal!
Faut de matériel forestier spécialisé, personne ne sait comment déplacer ces troncs collossaux. Ils sont là depuis plusieurs mois et risquent d’y rester encore longtemps.
Pour notre part, nous ne mangerons donc pas à midi, et il est d’autant plus nécessaire d’atteindre Ziguinchor, avant la nuit.
Cependant, je propose un arrêt rapide à la base d’un projet multi-sectoriel pour les villages de Casamance (eau, agriculture, sanitation…etc) financé par la coopération allemande mais aujourd’hui abandonné.
C’est déprimant, on y voit d’excellentes foreuses semblables à celles de la Sonafor, complètement rouillées et hors d’usage. Pareil pour deux TH60, les stars du forages à l’époque, dans le même état. Encore un projet, onéreux, qui n’a pas pu aboutir. Pourquoi? Sans doute à cause de la rébellion en Casamance qui dure depuis des dizaines d’années, latente ou réactivée sporadiquement. D’ailleurs deux ingénieurs allemands y ont perdu la vie!
Il est temps de reprendre la route.
Nous avons encore l’opportunité de stopper pour visiter un village Diola, ethnie prépondérante en Casamance. C’est bien pour nous de rencontrer et discuter avec des Diolas, pour Jean c’est un nouveau contact avec l’Afrique profonde, pour Sido et pour moi, ça nous permet de mieux comprendre leur mode de vie, leurs ressource et leurs besoins. C’est important car en améliorant les conditions de vie en Casamance, le gouvernement pense inciter les exilés (réfugiés en Guinée Bissau, et en Gambie) à revenir au pays.

A propos du développement de la Casamance, j’avais identifié trois options qui me semblaient pouvoir améliorer le mode de vie des Diolas.
– leurs maisons traditionnelles sont construite en briques de banco mais ce sont des briques crues. Les techniques de cuisson des briques largement utilisées en Guinée, pour cuire les briques, que j’ai décrites plus haut, ne sont pas connues au Sénégal.

Je les rappelle ici:
La première étape, c’est la fabrication de briques en banco séchées au soleil. Ce que font les casamançais depuis des lustres!La deuxième étape consiste à construire dans un endroit plat et dégagé, un grand tas de briques en forme de pyramide, tout en ménageant à l’intérieur un volume vide au centre qui servira de four, et des conduits vides intérieurs pour diffuser dans toute la masse la chaleur émise dans ce four par la combustion de bois. La combustion peut durer une semaine, pendant laquelle il faudra couper du bois, pour approvisionner le four. Ça et là, en Guinée forestière, on pouvait voir de tels pyramides ou foyers.
Les plus gros four comprenait jusqu’à
10 000 briques.
Cette technique, nous disait-on, leur avait été enseignée, par des coopérants chinois.

Sous la conduite de quelques guinéens rompus à cette technique, l’utilisation de briques de banco cuites aurait pu se répandre en Casamance. Et la construction des fours aurait été à la portée des casamançais eux mêmes, en organisation communautaire.

J’avais remis au ministre de la Casamance, un rapport en ce sens, préconisant l’élaboration d’un projet, qui paraissait conforme aux normes des bailleurs de fonds internationaux. Et pour une fois, les bénéficiaires (les Casamançais) auraient eu le projet (des maisons construites en dur) et l’argent du projet (versé à la communauté, pour la construction des fours pyramidaux et la cuisson des briques). Un autre avantage aurait la proximité des fours érigés par exemple à la sortie du village.
Alors bien sûr, il y a le problème de la déforestation car il faut du bois pour entretenir le feu dans le foyer central du four à briques. Cette question importante, pouvait être examinée attentivement, et des solutions pouvaient être envisagées.
Comme par exemple le reboisement par plantations (à réaliser aussi en participation communautaire).
Remarquons, au passage, que les arbres centenaires abattus par la tempête sur la place de Bigona, pouvaient servir de bois de chauffe pour de multiples fours à briques.
Après tout, en Guinée, quand les forestiers repérent dans la forêt primaire un grand arbre conforme à leur normes, il s’agit bien de déforestation, non seulement par l’abattage du grand arbre, mais aussi par la coupe des végétaux sur le tracé des pistes permettant d’y accéder.
Avant de mettre mon dossier au placard, il me semble qu’on aurrait pu engager les études nécessaires…
Ce que les autorités sénégalaises avaient compris, c’était la nécessité de réaliser des projets qui conviennent directement aux populations casamançaises. Qui leur fasse plaisir. La décentralisation aux niveaux des villages pouvait permettre aux populations de construire elles-mêmes, en gestion communautaire, des maisons en dur, donc durables, tout en étant payées par les fonds alloués au projet.
Aux bénéficiaires le projet et l’argent du projet! Voilà ce qui aurait pu faire plaisir aux casamançais.

Ziguinchor
Après ces réflexions qui me reviennent en mémoire pendant le trajet, nous arrivons enfin à Ziguinchor, la préfecture de la Casamance.

Jean, Sido et moi nous rendons au bar pour une bière tant désirée. Qu’elle n’est pas ma stupéfaction de voir accoudé au comptoir….mais oui, c’est bien lui: Abdallah, membre du Comité Directeur de l’agence française de Louis Berger International Inc, mon employeur parisien.
Il est accoudé, à côté d’une belle femme Diola. De son côté, il me reconnaît aussi avec stupéfaction. Comment est-ce possible? Nous nous vu à Niamey, il y a à peine deux semaines, et nous nous retrouvons ici à 4000 km de distance, dans un bar de Casamance!
Discussion, échange, nous sommes tout deux en vacances…Such is life!
Je suis à peine gêné, lors qu’ il me demande comment je suis parvenu jusqu’ici? Je lui raconte alors notre périple avec la voiture du projet, mais je m’abstiens de lui mentionner l’accident que nous avons eu au départ, qui a endommager une autre voiture du projet (dont il -LBII- aura à supporterles frais de reparation). Dans le fond, ce genre d’écart est admis pour les chefs de projet en poste dans des pays décentralisés. Ça prouve aussi qu’on sait se demerder en Afrique!

Alors, nous, Jean, Sido et moi, comme d’habitude on est crevés ce soir, et on va se tranquillement se coucher. Incroyable, mais vrai!
Rideau, dodo.
Seulement n’arrivant pas à m’endormir, je sors pour faire mon marché, au Bombolong, la boîte du coin, que je retrouve quatre ans après mon dernier passage. Je ramène une danseuse-masseuse avec moi, et après avoir pris le meilleur des somnifères, je savoure le repos du guerrier en m’endormant dans les bras de Morphée.

Le lendemain matin nous décidons de visiter un peu la Casamance. Morphée accepte de nous servir de guide. Elle est polyvalente…
Nous allons à Cap Skirring voir l’océan, puis au retour nous nous à Oussouye, achetons une bouteille de vin rouge, et demandons à rencontrer le Roi d’Oussouye et son Chambélan Boniface.. On nous introduit dans son palais, une case plutôt simple, nous le saluons et le prions d’accepter notre présent: la bouteille de vin rouge. Il a un spectre végétal à la main, et il nous parle des problèmes d’eau potable de son Royaume. Avec moi, il est bien tombé.
D’ailleurs il se souvient de la Sonafor qui lui avait fait un forage.
Puis nous le remercions de cette entrevue, le saluons, et nous nous éclipsons.Il vaut savoir que sa position de roi est honorifique, mais il à une sérieuse contrainte: il ne doit jamais sortir de son royaume. S’il en sort, il sera destitué et garde en prison! Par contre il a, si l’on peut dire un avantage: toutes les femmes sont ses femmes, et il a en queque sorte droit de cuissage!

Nous revoilà à l’hôtel Aubert, et la journée demain sera longue. Nous souhaitons, en effet atteindre Dakar dès demain. Le point dur du trajet sera la traversée de la Gambie.
Nous avons le choix de prendre le bac à Farafénié en brousse oû à Bathurst, la capitale de la Gambie. J’opte pour la capitale, que je n’ai jamais visitée.

Banjul
Nous y arrivons, le lendemain matin, vers 11h et pas de chance, le bac vient d’appareiller!
Le suivant est à 17 h, soit 6h. d’attente. Bon, cherchons un restaurant! Un vieux marin, parlant parfaitement le français nous aborde. J’adore ça. Je lui demande où est le meilleur restau de la ville. Par chance il est sur le quai. Jean et moi voulons savoir on y sert du vin.

Et le vieux marin nous introduit au restau en nous recommandant au patron. Puis ce vieux marin nous offre l’apéro. Alors on s’installe confortablement à une table, et on commence, Jean, Sido et moi à discuter avec le vieux marin. Nous sommes tout les trois en pleine forme, heureux de nous retrouver ce soir à Dakar.
Sido parce qu’il n’y est jamais venu, Jean parce qu’il y était déjà venu me voir, cinq ans auparavant, et moi parce que Dakar, c’est un peu chez moi, ancien DG de la Sonafor, et je vais peut être y retrouver des copains, et sûrement des endroits que j’aime.
Le vieux marin, nous demande de raconter notre voyage. D’où venons nous, qui sommes nous, où allons nous?
Il est impressionné d’apprendre que nous venons de Niamey, par Cotonou, Lome, Accra, Abidjan, N’zérékoré, Labbé, Ziguinchor et Banjoul! C’est pas souvent qu’on rencontre de tels voyageurs. Jean, émoustillé par le pastis, raconte son intervention au service des douanes de Labbé, et Sido développe sur le Niger. Quant à moi, je parle de moi, j’adore ça. Alors le vieux marin nous parle de lui, de sa femme et de ses enfants et combien il est ravi de nous rencontrer.
Nous avons encore à attendre quelques heures avant le départ du ferry. Nous vidons plusieurs bouteilles de rosé. Un verre ça va, trois vers bonjour les dégâts, on connait! Mais là c’est plutôt une bouteille ça va, trois bouteilles bravo les gars.
Maintenant on passe à table en titubant un peu. Tonton Jean, décidément très en forme, invite généreusement notre vieux marin à manger avec nous. Tout va bien, on est tous heureux, le vie est belle, OLÉ !!
Patron, une autre bouteille SVP!
L’euphorie s’installe, le patron en remets encore une, gratos.
On a bien mangé, on a bien bu, merci petit Jésus.
Le ferry arrive, on va y aller, on rit encore, on embrasse notre nouveau pote, « good by, on se reverra c’est sûr ». Et lui dans sa langue maternelle: « Have a safe journey, take care, it was so nice we spoke together! ». Oui il l’a dit. C’est pas une blague.

Alors on dit souvent que ces rencontres sans lendemain, sont inutiles, ne servent à rien. Et bien pour nous, Tonton Jean, Sido et moi, cette rencontre imprévue a été un bon moment d’échange dans la joie. Un vieux marin gambien, un chauffeur nigérien, un haut gradé français, un « grand patron » international. Qui dit mieux?
Et tout ça principalement grâce à notre ouverture d’esprit, et un peu aussi grâce au rosé. Le vin qui libère la parole et rapproche les ivrognes.
De plus notre nouveau pote n’a pas été avare de paroles. Il nous a raconté, j’en suis sûr des tas de choses intéressantes, que je n’ai malheureusement pas retenues. Tu m’étonnes!
OLÉ !





















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