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Burkina Faso

Sonafor au Burkina Faso

Thomas Sankara

Discours de Mélanchon au mémorial “Sankara “ Ouagadougou, Burkina Faso. 19 juillet 2021.

SONAFOR

En 1989, j’ai 45 ans.

Nous avons décidé de démarcher le Ministère de l’hydraulique au Burkina Faso, et en prévision de commandes prochaines, nous y avons acheminé un atelier de forage, puis embauché sur place plusieurs foreurs locaux, et j’avais demandé à Michel Mary d’aller s’installer à Ouagadougou, pour suivre tout ça.

Enfin, comme prévu, nous avons obtenu du ministère de l’hydraulique du Burkina Faso, un programme de forages, proches de la capitale. Je suis allé moi-même faire une formation rapide à notre équipe. Les foreurs étaient surpris de voir le DG de la fameuse Sonafor, les clés à griffes en main, visser et dévisser les tubages, puis démarrer la foreuse et forer le forage…

Lorsque je suis rentré à Dakar. Michel n’était pas encore prêt à partir. Il connaissait bien le Burkina Faso, et était bien connu là-bas.

Cependant il y avait fait un mois de prison, quelques années auparavant pour d’obscures raisons que je n’ai pas cherché à comprendre. Ce mois s’était bien passé, les prisonniers noirs le respectaient car il avait l’autorité d’un chef de chantier, et ça les rassurait. D’ailleurs dès son entrée dans la salle commune, il avait engueulé les prisonniers car tout était crasseux. Il a demandé des balais, des seaux d’eau, de la Javel etc.  Et mis tout le monde au travail ! Ça avait remonté le moral de la compagnie. De plus il pouvait discuter avec des collègues de bonne éducation, tous pris les doigts dans la confiture, ou carrément la main dans le sac, lors de l’exercice de leurs éminentes fonctions.

Il avait été libéré au bout d’un mois, et ne savait pas, ni pourquoi, ni comment. 

Notons que les entreprises étrangères travaillant en Afrique, tiennent à maintenir de bonnes relations avec leurs clients, en général l’Administration. Elles savent mettre de l’huile dans les rouages, pour fluidifier les contacts et les circuits. Dans la cuisine africaine un ingrédient fondamental pour réussir une bonne sauce, c’est l’huile rouge…Rouge comme la couleur des gros billets. Ça permet, en cas de gros pépins de trouver des bonnes solutions qui arrangent tout le monde. 

Avant de retourner au Burkina, quelques années après ses exploits, Michel avait besoin de savoir s’il pouvait y aller, sans ennui. Un ami de Dakar qui partait là-bas, a pu le rassurer : “le gouvernement a changé”. Ça on le savait : Thomas Sankara, venait de prendre le pouvoir.                                     .
 “Michel, personne ne se soucie de ton histoire, c’est de l’histoire ancienne. Tu peux y retourner, ils ont d’autres chats à fouetter”.

Michel est donc retourné au Burkina. Avec Amy.                                  .
Malheureusement, notre programme de forages n’a pas bien marché. Les dépenses étaient trop élevées et Michel ne s’entendait pas avec le chef d’agence de SEEE. 

Une autre raison, c’est qu’habitant en ville Michel passait avec ses copains des soirées bien arrosées. J’ai bien connu l’équipe, tous très sympas, mais trop alcoolisés, comme ça arrive souvent en Afrique : deux ou trois pastis à midi pour l’apéro, repas et sieste, boulot, et rebelote le soir, pastis, diner au restau bien arrosé, whisky coca, un, deux, trois à la boîte de nuit, souvent retour à la maison avec une gazelle burkinabé, un dernier coup de rosé après la dispersion de gênes…repos bien mérité mais aussi bien aviné. 

Réveil la tête dans le cul, douche froide, Alka-Seltzer et glaçons, encore un temps de repos avant de partir, une bière pour dégraisser la bouche et se donner du courage. Allez c’est parti, on y va !

Et Michel arrivait bien tard le matin au chantier.  Un an plus tard, nos campagnes de forages au Sénégal sont terminées et au Burkina Faso ça a foiré. Et nous n’avons maintenant en commande qu’un unique forage pour la Coopération italienne

L’agence du Burkina a arrêté les forages. Faut dire que ce n’était pas le métier du chef d’agence…Et il ne savait pas comment gérer un foreur comme Michel. Un chef de chantier de forage, doit être présent au démarrage de la journée pour vérifier, avec son équipe, les niveaux d’huile, et démarrer les machines : la foreuse et le compresseur.

Puis assister à la redescente du train de tiges jusqu’à la profondeur atteinte la veille. Et enfin à la reprise du forage à partir du fond du trou. Si tout va bien, il fait confiance à ses foreurs pour forer tout seuls. Il va en général prendre un café chez lui et se reposer un peu de la nuit précédente. Il repassera plus tard, peut être deux ou trois fois dans la journée, et s’il y a un problème de mécanique il s’attachera encore à le résoudre. Puis il repasse une dernière fois à la fin de la journée de travail, pour faire le point et vérifier que tout est ok pour redémarrer le lendemain sans problème. Si problème de mécanique, ou d’approvisionnement (pièce détachée, eau, gasoil…) il s’attachera encore et toujours à le résoudre, quitte à y passer la nuit. Le forage est une dure lutte contre le temps. Donc rien à voir avec l’emploi du temps, à heure fixées, d’un bureaucrate. Le chef de chantier forages doit être un bon mécanicien car les casses sont fréquentes. Tant que les machines ne tournent pas, à cause de tel ou tel problème, il doit tout faire pour rétablir la situation rapidement. En fait, il n’a tout simplement pas d’horaire. 

Le chef d’agence ne voulait rien comprendre de tout ça ; il exigeait une présence fixe de Michel sur le chantier conforme aux heures de bureaux. C’est pour ça qu’il ne se sont pas entendus.

Une fois Michel avait acheté à Dakar, pendant mon absence, une Peugeot d’occasion, conduite intérieure, et l’avait entièrement refaite, éliminant le toit pour la transformer en coupé sport. Avec une peinture au pistolet, rouge toute neuve. Il avait fait tout ça en quelques jours avec trois employés de la Sonafor, carrossier, mécano et peintre. Et à mon retour de mission, il m’en avait fait cadeau. Sympa, n’est-ce pas !

Michel est donc maintenant au paradis des foreurs, et ce n’est sûrement pas un endroit triste. On dit que quand un foreur rencontre un autre foreur, ils se racontent des histoires de foreurs, que seuls les initiés peuvent suivre.

Qu’il me garde une place, le moment venu pour alimenter ces conversations !

« Michel, si tu nous entends de là-haut, je t’embrasse bien fort et j’écrase une larme après avoir évoqué cette fameuse époque. Et j’écris cette histoire pour ton petit Marcel et sa maman Amy ».

Burkina Faso:
50 ans de la misère au progrés

https://www.youtube.com/watch?v=M7OF07AIq_8

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