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Maroc Non classé

Marrakech – Dakar

1995 – 51 ans
La moto enduro 2
Toujours à Marrakech, et bien reposés, après une journée complète de détente nous décidons de poursuivre notre trip vers Dakar, mais on fera encore un petit crochet après avoir traversé l’Atlas, vers les gorges du Todra et du Dadès.

Il s’agit de deux torrents qui descendent de la chaîne de montagne de l’Atlas, avec de puissants débits pendant la fonte des neiges. Ceux-ci y ont donc creusé, au cours des temps géologiques, de profondes gorges.
Très étroites pour le Todra, où les paroies sont verticales, sur plusieurs centaines de mètres de hauteur et la largeur réduite à quelques mètres. Au bout de la partie accessible du défilé, un hôtel entièrement creusé dans la paroie rocheuse, offre son hospitalité dans ce site incroyable, au voyageur en quête de repos.
Pour continuer plus haut, il nous faut redescendre le défilé, pour reprendre en aval une piste qui le contourne puis se poursuit suffisamment large en montant pour atteindre la plateau d’Iminchil, centre régional fameux pour son moussem annuel des fiancés….Mais ceci est une autre histoire..
Il s’agit maintenant d’une piste de montagne, et non pas d’un défilé.Nous roulons en rive gauche et visualisons sur l’autre bord de multiples villages berbères. Puis la piste se fait moins large, dans laquelle les voitures ne pourraient pas s’engager. Même les 4×4.
C’est l’avantage de la moto: on va plus loin, bien plus près des gens. Du coup, ils nous sont accessibles dans leur villages et nous leurs sommes accessibles sur nos motos. Pas de portes à ouvrir. C’est du direct. Du face à face.
A ce propos, nous tombons sur un groupe de touristes, marcheurs sac à dos, enivrés, par la beauté du site. Nous nous arrêtons pour tailler la bavette. Déception, il nous attaquent bille en tête. Nous faisons du bruit, gâchons leur trek…bla, bla, bla.
Pas de chance, pour eux, Marco notre guide autoproclamé, professeur agrégé en sociologie (jeunes, villes emploi..) n’aime pas trop leur ton comminatoire. Et il leur répond, comme seul un motard agrégé peut le faire: souplesse, intelligence et fermeté. Au revoir et bonne bourre, messieurs-dames.
Je rebondis à propos de la fermeté de Marco. Malgré la pluie qui menace et les éclairs qui zèbrent le ciel, il veut poursuivre la ballade; en fait il veut passer par le plateau, plus haut pour rejoindre Imichil et à partir de là prendre la piste qui redescend la vallée du Dadès, pour finalement sortir au niveau de la route nationale goudronnée. Projet insensé, alors que la nuit va bientôt tomber, et qu’un orage sérieux approche à grand pas! Peu soucieux de revivre une galère comme celle d’avant hier, je me désolidarise: « au revoir à demain matin! Ou exactement? On verra bien! » et je redescend pour reprendre bien plus bas l’entrée du défilé du Todra. Où, coup de chance il reste une chambre de libre (en fait, il n’y a personne; qui serait assez fou pour s’arrêter dans ce site dément, et dans cet hôtel lugubre creusé dans la lave noire? La vue y est écrasée, butant à une dizaine de mètres sur la partie verticale d’en face!).
Mais pour moi c’est un refuge, qui va me permettre de reprendre un peu de force, pour attaquer très bientôt la partie sahélienne, désertique, et sableuse de notre périple.
Le lendemain matin je quitte ma caverne et je sors de la gorge du Todra, m’engage sur la droite, direction Agadir, et j’enquille quelques kms plus loin, sur la droite encore l’entrée dans la vallée du Dades. Au petit matin, remontant la piste très roulante, moi même en bonne forme, au guidon de ma Ténéré 600, je hume l’air frais en appréciant le beau temps rétabli durant la nuit! Mon regard vaque de part et d’autre de la vallée. A mon avis, après leurs exploits nocturnes, dont j’ai hâte de prendre connaissance, mes amis motards ont dû passer la nuit dans un fondouk de la vallée. Et, voilà, bingo! Au sortir d’un virage, ils sont là, en face de moi sur la terrasse, en haut d’un petit hôtel, en train de prendre leur petit dej à la mode berbère: thé à la menthe (atcheï nana), pain et huile d’olive (lait zitoun), amandes (allouze) et olives noires (zitoun).
Je ne peux me retenir de vous dire que le mot allouze, en berbère, a une toute autre signification, pour la femme berbère. Le fameux taboun en arabe. Avec une présentation moins pilleuse que la femme européenne. « On dirait un bébé » en témoignait Benoît, mais avec conviction, un ami français.
Mais revenons à nos moutons. Pendant que je me préparais, cette nuit dans ma grotte, un verre de rosé à la main, Marco et sa bande, connaissaient, une nouvelle fois l’enfer. Peu après notre séparation l’orage s’était abattu sur eux avec une rare violence, les empêchant de rouler. Et la nuit tombait…Après une longue attente, il avaient repris la piste, progressant lentement dans la boue glissante, à la lueur de leurs phares. Dans ces conditions le risque de dérapages et de chutes est élevé. Et finalement il n’avait atteint le fondouk que vers 23 heures, épuisés mais heureux de leur galère. Et, bien sûr, prêts à recommencer!
Tout le monde flâne un peu autour des alouzes, du khops et de la carafe de zit-zit-zitoune. Ces messieurs tirent comme des malades sur leur énième joint…et l’on part tranquillement aux toilettes, puis ranger ses affaires dans son sac. Petit nettoyage de carrosserie, réglage des rétros, contrôle des niveaux, bottes, blouson, casque, gants, lunettes, et puis on enfourche, point mort, tour de clé ou bien kick, et hop, c’est reparti pour un tour.
Olé! Le Paris-Dakar des copains continue.
On atteint la côte Atlantique au niveau d’Agadir, que l’on contourne (on n’a pas le temps) puis on revient sur la côtière et filant, nez au vent, cap plein Sud, on progresse vers Tan-Tan.
Depuis plusieurs heures le vent de la mer nous gèle les os. La grippe que j’avais attrapé dans le col du Tizi-N’tess me reprend et je sens la fièvre monter. Alors ça, j’vais vous dire, je conseille à personne d’être malade, et d’attraper la fièvre au cours d’un raid à moto!

A ce point du récit j’arrête pour me reposer d’écrire pendant quelques minutes. Je m’allonge et ferme les yeux et accède tout de suite au calme mental, avec les visions mouvantes et colorées habituelles. Je les décrirai par le détail, dans un chapitre ultérieur. Cependant s’inscrivent sur l’écran noir de mes yeux fermés, les images des écrans typographiés que je viens de saisir sur mon smartphone. Je suis incapable de les lire, et me suis déjà aperçu que leur reproduction est altérée par des blancs insérés régulièrement entre des groupes de, disons 4 à 5 lettres. C’est illisible, et si je fixe trop intensément le texte, il s’estompe et disparaît. Pour mieux comprendre, je me contente de visualiser le texte, en le regardant un peu de côté. Il s’agit ce faisant d’utiliser les cellules périphériques de la rétine, plus performantes que celles du centre. Dans son ouvrage « Saga africaine » Henry de Monfred indique que cette technique est employée par les chasseurs tanzaniens, lorsqu’ils progressent la nuit dans la forêt, au pied du Kilimandjaro, pour pister les animaux sauvages. Cette vue, de coté, leur révèle aussi d’autres animaux en recherche, eux aussi, d’une proie à dévorer.
Celui qui ne possède pas cette technique court durant ces chasses, de graves dangers.
Revenant à la vision de mes textes, je constate avec surprise, qu’ils se mettent à scroller, à défiler vers le haut. Comme on le fait avec la souris.
Encore un phénomène à élucider!
Cool, non?

Tan Tan
https://youtu.be/GrVNgR4tv6o
Mais revenons à nos motos.
Nous atteignons Tan-Tan, préfecture balnéaire, mais pas que…car il y a du phosphate d’une part, et d’autre part, c’est une base arrière pour l’Etat-major des militaires marocains. Nous approchons de la frontière avec la Mauritanie et des combats contre le Polisario.
Il est donc difficile d’y trouver des chambres, à un prix de motards. C’est pourquoi nous rentrons dans le meilleur hôtel de la ville, et nous marchandons avec le directeur. Voilà, nous sommes huit, mais nous allons dormir à quatre dans chaque chambre. Le directeur n’est pas d’accord, il voudrait bien deux par chambre, mais quatre non! Marco, à qui on ne la fait pas refuse tout net. Et nous voilà repartis pour trouver un endroit où passer la nuit!
De guerre lasse, je crois que nous sommes allés finalement, dormir dans le désert à quelques encablures de la préfecture.
Mais auparavant nous sommes allés nous signaler à la police marocaine des frontières (papiers, véhicules, ressources- vehicules, carburant, eau, nourriture, argent..) et nous sommes plannifiés pour le convoi escorté par des militaires, qui partira demain. Se présenter vers 8 heures, à la guérite sud au sortir de la ville.
Heureusement nous sommes tous équipés de sacs de couchage, mais on se les ait quand même bien gelées, les coronès!
Après avoir regardé le soleil couchant sur les dunes ou sur l’océan, je ne sais plus, mais pas les deux à la fois c’est sûr !
Le lendemain matin, de bonne heure au petit déjeuner dans un restau sur la plage: nous savons que nous avons aujourd’hui une longue étape, 300 kms, pour rejoindre le poste frontière d’El Ayoun.
Un jeune homme blond, à la peau blanche, manifestement un motard lui aussi (les bottes et le casque) nous aborde. Il vient de Muhlouse (Alsace) avec une moto Ténéré 900 toute neuve, et a donc effectué en solitaire, et en quelques jours, les traversées de la France, de l’Espagne et enfin du Maroc. Il suggère de se joindre à notre groupe. On peut le comprendre, les difficultés arrivent. OK on est content d’accueillir Gilles Bouquetin, un type sympa, un bon nouveau copain.
Un peu plus tard nous revoilà sur la route côtière, tous ensemble, en direction de la frontière. Nous sommes intégrés aux autres voyageurs du convoi, européens, africains, arabes…etc.
Les véhicules sont divers et variés: des 4×4 tout neufs des Nations Unies et des ONG, avec leurs logos leur fanions et leurs antennes, éventuellement aussi des pots d’échappement prolongés le long de la portière avant gauche, à hauteur d’homme. Il y a aussi des 4×4 de touristes, flambants neufs, des véhicules de commerçants locaux, arabes ou noirs dans un état nettement moins rutilant, quelques aventuriers qui pensent passer le désert avec leur 2 CV ou leur 504, et même un français à pied qui court en tirant un sulky très léger, transportant ses affaires. Mais on peut comprendre que lui, fera le voyage « pedibus cum jambis », en solitaire; c’est pas grave, il a l’habitude ayant parcouru de multiples pays. Son dernier exploit? Le sommet du Mont blanc! Dixit!

J’aperçois aussi dans la file, un semi-remorque transportant plusieurs dromadaires, les naseaux au vent, bien alignés, à la queue-leleue, sur le plateau arrière. Leurs têtes, dirigées vers l’avant et leurs cous, dépassent des ridelles du camion; j’ai jamais vu un tel équipage, surréaliste!..

Et puis des taxi-brousses, vielles Peugeot rafistolées, à 7 places plus chauffeur, occupées par des familles africaines avec tout leur barda. Et enfin les motards. Nous sommes les seuls motards du convoi.
Pour ma part, je suis en mauvais état, le rhume et la fièvre, mais je roule quand même. Le convoi s’ébranle, et nous roulons vers les 60 kms/heure. La route goudronnée est neuve, du fait de l’effort de guerre marocain. Mais elle est un peu étroite, n’autorisant pas deux véhicules de front.
Notre groupe roule à l’avant du convoi.
Il est encore tôt, et le sable du désert reste un peu humide de rosée. Sa surface est donc recouverte d’une légère croûte consolidée par cette humidité. Je conduis derrière Gilles, et je le vois soudain accélérer et doubler la file des véhicules pour se porter en tête. Je le suis en prenant bien soin de rester sur le goudron. Manifestement notre nouveau copain à envie de liberté. Comme la plupart des touristes dans ce convoi, aujoud’hui est notre dernière journée sur une route goudronnée, et demain, une vingtaine de kms avant la frontière, ce sera leur premier contact avec le sable. Impatient, Gilles veut en tâter dès aujourd’hui: Résolument il quitte la route et s’engage sur le sable. Tout va bien, prudent au début, il gagne en assurance… Mais le voilà qui enclenche la vitesse supérieure et accélère brusquement. Malheureusement ce changement brusque de vitesse perturbe la fine croûte de sable humide, qui cède sous sa roue avant. Immédiatement, c’est l’accident: la roue avant s’enfonce d’un seul coup dans le sable sec et mou sous-jacent. Bloquée net, la moto éjecte son conducteur, Gilles, qui passe par dessus le guidon et va s’écraser sur le sol, tête en premier, une dizaine de mètres plus avant. Le choc est rude, Gilles perd connaissance.
La scène n’a pas échappé aux militaires, roulant en tête. Ils stoppent le convoi. Puis un attroupement se forme, à côté du corps inanimé de Gilles. Deux jeunes femmes s’approchent de lui, elles expliquent qu’elles sont infirmières, et examinent Gilles toujours inanimé. Quelqu’un conseille de lui enlever son casque, mais elles n’en font rien, ne voulant pas risquer un déplacement des cervicales. Enfin, elles s’asseyent tout près de sa tête et commencent à lui parler à voix haute, attitude professionnelle pour tenter de le maintenir en vie. Elles vont lui parler ainsi pendant des heures…le temps que les secours arrivent. Marco va discuter avec les militaires qui sont en contact radio, avec le poste frontière de Tan-Tan dont nous sommes à présent éloignés de plus de 200 kms.
Peu après, il revient vers nous, expliquant que nous devons tous retourner à Tan-Tan pour déposer notre témoignage à la préfecture.
Lui va y retourner, qui veut l’accompagner?
Tout le monde, sauf moi, lève le bras. Moi je ne peux vraiment pas rajouter 400 kms, à notre périple, je suis à bout, hors d’état de rouler.
« Au revoir Xavier, on se retrouve à Nouhadibou, ou à Nouakchott,..ou à Dakar. »
Et j’ajoute en moi même à Pâques, ou à la Trinité….
Je reste seul, fiévreux et malade, quasiment incapable de remonter sur ma moto. Sale temps pour moi!
Le militaire chef du convoi, décide de stopper notre progression vers El Ayoun, le poste frontière entre le Maroc et la Mauritanie, pour rester en soutien au blessé et aux infirmiéres.
Alors moi je n’ai rien à manger, juste un peu à boire, et je suis épuisé, par cette grippe qui m’affecte depuis plusieurs jours. A moins que ce ne soit le paludisme!
Je me traîne jusqu’à un 4×4 de touristes français et leur demande de m’aider, si possible en me donnant d’abord à boire et quelque chose à manger. Ils semblent carrément eberlués, mais pas vraiment disposés à me tendre la main. Du genre: si t’es dans la merde, c’est que tu l’as bien voulu! Ils veulent des explications. Je leur sors mon passeport bleu des Nations Unies, ils commencent à changer de ton, et leur raconte ma petite histoire, ma vie, mon boulot, …bla,bla,bla, notre Paris Dakar des copains (qui tourne au cauchemar), Gilles dans les pommes, et pourquoi je me retrouve là, tout seul; et je termine en leur faisant remarquer mon piètre état de santé.
Bon, finalement ils m’invitent à partager leur repas. Je mange je bois, je remercie, puis me dirige vers ma moto, et me glisse dans mon sac de couchage puis m’étends sur le sable, pour dormir.

La nuit commence à tomber. Je grelotte de froid et de fièvre, les infirmières m’ont donné de la nivaquine contre le paludisme, mais ce n’est pas suffisant. Avant de m’endormir, malgré tout, recru de fatigue, je m’inquiète de la suite des évènements. Comment vais-je m’en sortir?
https://youtu.be/6jDQ32gHLQE
A partir de là, la Baraka, qui veille sur le destin de chacun, va se manifester.

Peu aprés, on me tape sur l’épaule pour me réveiller. C’est un marocain, qui m’invite à le suivre. Il me conduit vers une khaïma, une tente noire berbère, isolée du sable froid par plusieurs tapis colorés. J’enlève mes bottes, et nous y rentrons à demi courbé, puis il me présente à une vieille femme, souriante, qui me désigne un matelas, avec une couverture blanche, à poils de chèvre, et un coussin. Il fait bon à l’intérieur de la khaïma, chauffée par un canoun incandescent sur lequel mijote la chorba du soir. Elle m’en sert un grand bol brûlant, qui me fait du bien. Puis sans un mot et en souriant elle me désigne le matelas. « Choukrane lala »-merci madame- je m’allonge, me couvre, et…m’endors.
Durant la nuit, je délire mais je sens qu’elle veille sur moi. A plusieurs reprises, lorsque je me réveille, enfiévré, elle me tend un gobelet d’eau fraîche tirée de sa khabia, sa jarre, et je me désaltère. Puis arrive l’aube, avec sa fraîcheur que vient compenser un bol de chorba, bien chaude.
Enfin, plus en forme qu’hier soir je me lève et aprés moults remerciement, « Baraka Allah laoufik », que la chance de dieu soit avec toi, je prends congé avec une dernière poignée de main, les yeux dans les yeux, et un sourire mutuel.Très reconnaissant de sa bienveillante compassion.
« Slama lala. » au revoir madame.
« Slama sidi, treck assalama » que dieu t’accompagne sur ton chemin.

Puis je me dirige vers Guy, étendu sur un lit picot de l’armée. Les infirmiéres sont près de lui. Elles lui ont parlé, à tour de rôle, durant la nuit. Il ne s’est toujours pas réveillé, mais il est vivant. Leur pronostic est, comme on dit, réservé. Elles restent maintenant, à attendre l’ambulance militaire sur le point d’arriver. Je salue tout le monde et me dirige vers ma moto. Il ne faut pas rater le départ de la caravane.

La Baraka encore:


Alors après avoir fait la check liste quotidienne je m’apprête à monter en selle, lorsqu’ un grand gaillard s’approche de moi:
« Bonjour, comment ça va, tu as l’air plus en forme qu’hier soir? « 
« Oui merci, grâce à l’hospitalité marocaine ».
 » Bon, on a parlé de ta situation, ma femme et moi » « ? »
 » on a compris que tu es bien malade et tu risques de na pas tenir le coup, sur ta moto jusqu’au poste frontière, puis après jusqu’à Nouahdibou la première ville en Mauritanie. Alors voilà ce qu’on te propose: je laisse ma femme conduire notre voiture, et tu montes avec elle. Et moi, poursuit-il, je conduis ta moto. OK? ».
« Oui OK, bien sûr et merci beaucoup ».
Ce qui fût dit, fût fait et nous roulons à présent sur les derniers kms goudronnés,
pour atteindre El Ayoun, la ville frontière.
A partir de là, le goudron s’arrête et on aborde la piste en sable. « Suivez bien la piste sans en sortir, car elle traverse une zone qui a été minée, et malgré nos efforts, elle n’est pas encore totalement déminée.
Bonne route, après le poste frontière, vous êtes sur le sable dans le no man’s land.
Soyez prudents, et trek assalama! »
Pour les touristes c’est un moment important, ils vont pouvoir, enfin, en découdre avec le sable, dont on a tant parlé, mais jamais pratiqué…
Une fois passée la frontière, après 4 kms de piste facile, en plein no man’s land, il y a un endroit bien connu, un lieu dit « la bassine » où le sable présente sa moins bonne configuration: le fameux « fech-fech ».
Bien des voyageurs, mal équipés s’y sont laissés piéger; d’ailleurs on peut voir ça et là des véhicules abandonnés sous forme d’épaves.
Les 4×4 tout neufs des touristes, se ruent sur la piste sans crainte car ils ont enclenché le crabottage, donc ils ont les quatre roues motrices.
Hélas, il se plantent immanquablement, et les voilà dehors avec pelles et plaques de désensablement. Puis finalement ils ne s’en sortiront qu’avec l’aide de conducteurs nationaux chevronnés, qu’ils devront récompenser en monnaie sonnante et trébuchante.
Heureusement après « la bassine » commence une improbable route, d’une seule voie (à ne quitter, sous aucun prétexte sous peine de sauter sur une mine). Le revêtement est antique, il n’en subsiste que des coquillages pris dans un goudron ancestral.
Puis cette route se poursuit, vers le lieu dit « le bouchon » situé à une vingtaine de kms seulement de Nouahdibou, première ville mauritanienne. C’est là que se situe la douane mauritanienne.
A cet endroit, je descends de la 504 de mes compatriotes, leur exprime sincèrement ma gratitude, et je reprends ma moto. Moi, je vais prendre à droite pour aller me reposer à Nouahdibou, en bord de mer, tandis qu’eux continueront tout droit vers la capitale Nouakchott.
Il est connu que la douane bloque les voitures à destination de Nouahdibou, sur place au « bouchon », pour faire marcher les petits commerces avoisinants. En retour ceux-ci payeront aux douaniers une partie de leurs revenus.
Je m’attendais donc à passer sur place, une dernière nuit de bivouac, à la belle étoile.
C’est alors que je rencontre, un autre français, Rolland avec son minibus.
Il a le contact facile et nous sympathisons rapidement. Il se rend compte que je suis malade, épuisé. Je lui dis que c’est vraiment pénible d’être retenu cette nuit par les douaniers ce qu’il me faudrait c’est un bon repas et une chambre d’hôtel pour récupérer. Et que faire de ma moto qui fuit de l’huile moteur depuis ce matin?
Ni une, ni deux il file discuter avec le commandant des douaniers, qu’il connait et lui explique ma situation. Mais lui-même n’a pas de visa. Il m’entraîne dans un petit bar ambulant, commande deux thés à la menthe. Il savoure son thé, sort un bic de sa poche, en extrait la tige dont il presse l’encre sur le culot de son verre. Et voilà le visa!
Il retourne voir le chef, qui se marre en voyant le visa, et l’entraîne dans son bureau.
Rolland ressort avec nos deux passeports dûment tamponnés. En fait, il était déjà en affaire avec le douanier, et a dû rajouter un petit quelque chose pour moi, à ce qui avait été conclu auparavant avec lui.
Maintenant il me propose de charger la moto dans le mini-bus, et nous voilà en route vers Nouadihbou, à 20 km de là.
Chemin faisant, il me dit qu’il doit se rendre à Bamako, capitale du Mali. Incroyable coïncidence, c’est dans cette ville que je dois me rendre dans un mois pour y accomplir un programme d’alimentation en eau de Bamako, Mopti et Tombouctou, pour le compte de LBII: Louis Berger International Inc. (dont nous avons déjà parlé plus haut).
Alors je lui demande s’il peut y déposer ma moto. Pas de problème, il sera à Bamako avec la moto, dans la semaine. Et moi, dans un mois.
Il me demande une avance pour payer l’essence du trajet et le changement du joint de culasse, de ma moto, à Bamako.
En plus, il me donne un tube de nivaquine , un médoc bien plus puissant que la Paludrine, contre le palu.
Je lui refile l’avance, et nous arrivons en ville où il me dépose dans un hôtel local.
Rendez vous au Mali, dans un mois, je saurai où le trouver!
Je plonge dans mon lit et je m’endors d’un sommeil réparateur jusqu’au lendemain.
Après le p’ti dej je retourne me coucher et dors comme un loir, jusqu’au soir. La Nivaquine commence à faire son effet, et je commence à récupérer. Dîner et à nouveau dodo.
Le lendemain matin tout va bien. Je tiens la forme; elle qui m’avait abandonné depuis deux semaines!
Je hèle un taxi, « au consulat français,
STP »! Le consul, un peu gros, jovial et débonnaire me reçoit tout de suite. Je lui raconte ma petite histoire depuis Sète jusqu’à Nouadhibou, et conclus en lui disant que mon plan c’est de prendre l’avion pour Dakar le plus tôt possible.
Mais pour prendre l’avion, il faut se rendre à Nouakchott. Alors le consul me fait le programme suivant. Nous sommes samedi et demain dimanche, il m’invite au restaurant de la plage avec sa femme et sa fille, pour y déguster les fameuses huîtres de Nouadhibou, au goût de noisette.
Ensuite, il attend l’arrivée de son fils, le lendemain accompagné de deux pêcheurs (au lancé) qu’il est allé chercher à Nouakchott pour les déposer sur la plage du Cap Blanc, avec matériel de camping, de pêche, plus nourriture et boissons pour deux semaines. Un coin désert, si ce n’est un petit village d’Imraguènes, situé à une dizaine de kms de leur campement.
S’en retournant à Nouachott, il pourra m’y transporter, gratuitement et me conduire à l’aéroport le jour venu.
En attendant je demande au Consul s’il veut bien me prêter un peu d’argent, car je commence à être à court. Je m’engage à le rembourser, par mandat, dès mon arrivée à Dakar. Il refuse tout net, en s’excusant, m’affirmant qu’à chaque fois on ne lui a jamais remboursé.
Le lendemain, lundi midi, je décide de rendre visite au Préfet, pour lui parler de mon équipe, et voir s’il a des nouvelles. Il n’en a aucune, mais promet de contacter ses agents par radio. Affaire à suivre..donc.
Patrick, le fils du Consul, arrive dans la soirée avec son 4×4 Toyota Hilux. Il vient de constituer avec les deux touristes pêcheurs, leur campement au Cap Blanc.
Et comme convenu Patrick et moi, nous prenons la route, dès le lendemain, mardi matin, vers « le bouchon » , pour bifurquer à droite en direction de Nouakchott.
Coïncidence, arrivant au »bouchon » j’y trouve Roland, son minibus et le reste de mon équipe de motards qui viennent d’arriver de Tan-Tan. Surprise, surprise…
Roland, inquiet pour eux, avait retardé son départ pour Bamako et décidé de partir à la rencontre de mes amis motards. Il était arrivé à les localiser un peu paumés dans le désert et à les ramener dans le droit chemin.
La fameuse solidarité dans le désert!
Marco me donne des nouvelles de Gilles Bouquetin, il a été ramené à l’aéroport de Tan-Tan par une deuxième ambulance de l’armée, où un un jet l’attendait depuis peu, avec un médecin à l’intérieur!
Europ-Assistance avait bien fait les choses.
Mais toujours est-il que Gilles était toujours dans le coma.
J’apprendrai, bien plus tard, par Marco venu en visite au Mali, que Gilles s’était enfin réveillé, en bon état longtemps après dans son studio à Mulhouse suite à sa prise en charge complète organisée par son assurance. Avec sa moto bien garée et cadenassée, dans le garage de l’immeuble. Bravo, l’armée marocaine et bravo Europ-Assistance! Et bravo aux deux infirmières dévouées, qui par leur présence active, dès l’accident avait permis à Gilles d’éviter inconsciemment le pire. On peut dire qu’ils ont tous contribuer à sauver Gilles, grâce à un déploiement logistique pertinent, et puissant aux confins du Maroc.

Mes amis motards décident de débrayer un peu, pour se reposer à Nouahdibou, et nous nous séparons, une fois encore.

Notre voyage vers la capitale s’est effectué confortablement et sans encombre. Au Cap blanc nous sommes allés voir si les deux pêcheurs isolés étaient satisfaits de leur campement. Pas de problème.
C’est là que je réalise le contraste entre les excursions bien organisées, avec une logistique adéquate (4×4 tout terrain, climatisés et avec radio BLU, transportant matériel, vivres, eau, trousse de soin …etc), ne sont finalement pas le même voyage que les équipées sauvages des motards, qui partent à l’aventure, avec la bite et le couteau. Et de plus pour sortir de notre zone de confort, nous, nous avions pris tous les risques en traversant trois fois les montagnes de l’Atlas en plein hiver, sans tente pour nous mettre à l’abri, presque sans nourriture, et avec seulement un volume d’eau réduit dans nos camel-back, évidement de plus sans pièces de rechange en cas de pépin. Et moi, couvant la grippe dès le départ, puis le paludisme dans le désert.
Mais le meilleur moment que je n’oublierai jamais, ce n’est pas le paysage somptueux des monts de l’Atlas, ni les dunes blanches ou ocres, vagues de sable, déferlantes immobiles, perpétuelles vers l’océan agité.
C’est le sourire de cette vieille femme, qui me voyant malade, et seul, m’a offert l’hospitalité dans sa khaïma, un gîte, un lit, de la nourriture et de l’eau, et m’a veillé aussi pendant mon sommeil.
« Mabrouk, que dieu la bénisse… ».

Maintenant tout va bien, nous souhaitons un bon séjour aux touristes pêcheurs. Totalement isolés du reste du monde, ils vont vivre sur cette vaste plage et entre les dunes du désert qui plongent vers l’océan, des vacances qu’ils n’oublieront jamais.
Nous atteignons Nouackchott à la tombée de la nuit et Patrick me dépose dans un hôtel confortable, le Damsi. J’y suis accueilli par Gérard, le propriétaire des lieux. De nombreuses sculptures sénégalaises disposées ça et là, achèvent de me rappeler un hôtel tout à fait similaire à Dakar. J’en fais part à Gérard, qui acquiesce, puisque c’est lui-même qui a construit et exploité le Damsi de Dakar. Puis, une vingtaine d’années après il a fait de même, ici, construisant le même hôtel, dans ce pays bien plus calme, avec beaucoup moins de monde, et donc plus d’espace. Entouré par deux immensités éternelles, le désert et la mer.
Pendant le dîner, je raconte à Gérard notre fameuse équipée. Et il me parle de sa vie, de son fils, Gilles, qui homosexuel leur a fait son coming out, et qui consomme de la drogue….Que dire, sinon qu’il m’a fait une très bonne impression pendant le voyage: aimable, intéressant , dynamique, bon pilote dans le sable et parlant bien du désert…J’espére simplement que ça lui a fait plaisir.
Maintenant, j’explique que je voudrais prendre l’avion pour Dakar, le plus tôt possible. Je n’ai plus assez d’argent pour payer le billet, mais juste assez pour pour lui régler l’hôtel. Je le rembourserai dès mon arrivée à Dakar. Il a vu mon passeport bleu des Nations Unies, ça devrait le mettre en confiance.
Bon, on verra, en attendant il va aller à l’agence pour réserver sur le prochain vol et acheter mon billet. Quant à moi, repos au bord de la piscine.
A l’apéro, il me confirme ma place pour le vol de demain. Il me tend le billet. Combien?
Laisse tomber, je te l’offre! Et pareil pour ton séjour au Damsi. Cadeau.
Merci Gérard, que Dieu te protège!
C’est encore un coup favorable du destin qui veille sur moi.
Enfin le lendemain, je finis mon « Paris-Dakar des copains » au sprint, dans un avion d’Air Sénégal.
















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