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Rebonjour Sénégal Adieu Hajiba

En 2003, j’ai 59 ans.                                      .
Des trois intervenants, venant du Maroc, j’arrive le premier à Dakar. Le premier aussi à sortir de l’avion. Du haut de la passerelle, de retour dans ce pays après dix ans d’absence, surgit fugacement le souvenir des quatre années passées autrefois, étant directeur général de la société nationale de forages du Sénégal. Je descends lentement et m’arrête au pied de la passerelle…je m’agenouille et j’embrasse le sol. “ Bonjour Sénégal, Salam allekoum, Allah Akbar.” Salutations appropriées puisque le Sénégal est aussi une Terre d’Islam. Wallaye !

Je me relève, contemple le paysage, les deux mamelles, le phare, l’océan…tout est là, devant moi. En montant dans un vieux taxi rouillé qui m’emmène en ville, le long du parcours je me réintègre progressivement dans l’univers sénégalais, je savoure ces instants où en moins de dix minutes se réinstallent dans ma conscience les réalités, les signes, perceptions, intuitions, réflexions, les amis, les amours, que j’avais déposé en vrac, ici même en prenant l’avion, dix ans auparavant.

La lumière, la blancheur de la peau d’Hajiba, s’estompent peu à peu, alors que je recouvre mon adhésion à l’Afrique noire. Mon âme noircit peu à peu, pour le meilleur et pour le pire ! À l’entrée de la ville, Hajiba a disparu presque totalement de mon horizon. Je suis parfaitement à l’aise. 

La SONES, Société Nationale des Eaux du Sénégal, m’a demandé d’intervenir sur un contrat de deux années pleines, en tant que conseiller, chef de la mission de gestion, de suivi, et de contrôle, pour son projet d’alimentation en eau potable de onze villes au Sénégal. Avec comme collaborateurs :  Etienne Lenoir, belge, spécialiste en l’électromécanique, puis Jamal Brahmi tunisien, génie civiliste… et enfin Gerhardt Sanzenbacher du bureau d’études allemand IGIP, qui a le contrat avec la SONES. Je serai basé à Dakar. Dans ce programme il est prévu pour chacune des onze villes, un forage avec station de pompage, un château d’eau surélevé, et des conduites de distribution.

Il s’agit là d’hydraulique urbaine. Comme on sait que la nappe d’eau est relativement profonde, mais puissante, on fait des forages relativement profonds et de gros diamètres. Ainsi le débit de pompage de chacun d’entre eux, sera suffisant pour permettre d’alimenter chaque ville en eau potable . 

Le lendemain Gerhardt Sanzenbacher arrive à son tour. Il est en charge de la réalisation de ce contrat. Nous faisons connaissance et il me met en relation avec notre partenaire local, Papy N. directeur propriétaire de son propre bureau d’études. Son rôle consistera à embaucher le personnel local nécessaire, à le mettre à notre disposition avec les moyens adéquats (bureaux, véhicules, ordinateurs, portables…) et il nous facturera ses prestations à la fin de chaque mois. La première d’entre elles consistera à réaliser pour nous l’achat de trois véhicules de service. Ce dernier point était le plus délicat, et je n’allais pas tarder à débusquer Papy qui se faisait du cash sur notre dos. Il était sympathique, certes, mais un peu cavalier sur les bords. Il faisait en effet de la cavalerie. 

Le lendemain matin arrive Etienne Leblanc, belge, spécialiste en électromécanique, et dans l’après-midi, Jamel Brahimi, tunisien, spécialiste en travaux de génie civil et canalisations. Dans le salon de l’hôtel Madeleine où nous résidons, nous tenons notre première réunion. Présentations mutuelles, bla, bla, bla. Puis on rentre dans l’opérationnel, vu par Gerhardt, qui expose son plan d’attaque :

– Xavier, chef de mission, réside à Dakar à proximité du client (Sones). Je vais louer un appartement dans le quartier, et un bureau m’est attribué chez Papy, notre partenaire sénégalais, sur la place ovoïdale dite de l’œuf.

– Etienne est affecté à Kaolack, au centre du groupe des villes à équiper. Il loue un appartement qui lui servira de bureau. Sa femme le rejoindra bientôt dès qu’il sera installé.

– Jamel en Casamance. Ç’est pas un cadeau, parce que la rébellion sévit encore en brousse, trois ingénieurs allemands y ont perdu la vie, il y a peu.                              . 
En Casamance, la Sones prendra en charge la sécurité des expatriés. Jamel cherche un appartement ou une villa à Ziguinchor. Tout le monde est d’accord, tout va bien Gerhardt affirme sa confiance en notre trio, et nous remet à chacun un téléphone portable. D’autre part, comme c’est l’usage, chacun est venu avec son lap-top. Le lendemain matin nous avons une réunion de présentation à la direction générale de la Sones qui confirme à ma demande qu’elle se charge de notre sécurité. Si nécessaire un char de l’armée et une escouade militaire seront mobilisés. Olé ! 

On prend congé et on accompagne Gerhardt à l’aéroport. Il retourne au siège d’IGIP, en Allemagne (non sans m’avoir remis une somme pour couvrir nos frais d’installation et nos premières sorties sur le terrain). En tant que chef de mission, je suis en effet chargé de la comptabilité du projet.

Papy Ndiaye connaissait bien à Dakar une libanaise, importatrice de véhicules, Mme A. qui lui adressait à sa demande, une facture pour l’achat de trois véhicules tout terrain (deux pick-up Mitsubishi dernier modèle, et pour moi qui resterait sur le goudron une petite conduite intérieure). Puis Papy transmettait la facture à Gerhardt au siège d’Igip qui effectuait un virement sur le compte de Papy. Il était alors en mesure de payer Mme A. et nous pourrions recevoir nos véhicules. 

Mais voilà, Papy faisait de la cavalerie à la traite : Il remettait à Mme A., qui acceptait, plutôt que nos billets, une chaîne de traites. Payant avec du papier, il ne sortait donc pas d’argent de son compte et se constituait ainsi une trésorerie non négligeable sur le dos d’IGIP ! Quant à Mme A. elle déposait les traites de Papy à la banque qui la créditait tout de suite de leur montant. Et elle libérerait les véhicules. Au bout du compte c’est Mme A. qui faisait confiance à Papy, et la banque qui faisait confiance à Mme A.

Quel était le risque pour nous ? Que Papy, dépense le montant des trois véhicules crédités sur son compte par Igip, que ses traites déposées à la banque par Mme A. ne puissent être honorées au jour dit. Et que cette dernière refuse du coup de nous livrer les véhicules.

Bref, on verrait bien, le jour de la date d’échéance de la première traite…Et il y avait un délai de livraison d’un mois, le temps d’importer les véhicules.

C’est ce qui s’est passé, c’était prévisible, Papy n’a pas honoré sa première traite, et Mme A. ne nous a pas livré et nous restions toujours dans l’attente de nos véhicules. J’ai donc prévenu le comptable au siège d’Igip en Allemagne, qui a exigé immédiatement le remboursement par Papy de la somme qui avait été virée sur son compte. Et il m’a demandé d’ouvrir un compte à Dakar, à mon nom, pour toutes opérations financières relatives au programme.

Dernière embrouille : Quelques jours plus tard, Papy étant K.O, je vais, moi-même, relancer la commande des véhicules chez Mme A. Je réduis notre commande à deux Mitsubishi. Et je lui dis à la dame, que je sais qu’elle avait consenti des réductions à Papy, et je demande les mêmes facilités. Elle est tombée dans le panneau en me disant, “Avec Papy ça allait. Mais pour vous ça n’ira pas”. “Ah bon, mais pourquoi donc ?“   “Avec Papy, ce n’était pas pareil”. J’apprends que Papy avait eu des réductions, dont il n’avait pas fait bénéficier Igip! Morale de l’histoire, nous sommes au Sénégal ! C’est l’Afrique, patron ! Bon, j’ai payé cash, et nous avons enfin eu nos deux Mitsubishi. Quant à moi au lieu de m’acheter une petite Bora, j’optais pour un 4×4 Messenger d’occasion, qui ne coûtait pas plus cher et me permettrait des randonnées tout terrain.

En Casamance Jamel est le responsable du suivi et du contrôle des travaux de génie civil et de poses de canalisations. Quelques jours après son installation, à Ziguinchor, la capitale régionale, Jamel participe, à une tournée des villes concernées, avec la Sones , les entreprises et aussi les autorités communales. Leur cortège d’une dizaine de voitures roule sur la tôle ondulée d’une piste en latérite, à vive allure. Jamel est dans son 4×4, et son chauffeur inexpérimenté, accélère pour ne pas être lâché par les autres ; mais, sur la tôle ondulée, il finit par perdre le contrôle de son véhicule qui part d’abord en vrille, puis sortant de la piste à vive allure, effectue plusieurs tonneaux, avant de s’arrêter, les quatre roues en l’air. Les autres véhicules loin devant ne se sont aperçu de rien et ont poursuivi leur route…Jamel, sauvé par sa ceinture de sécurité, est néanmoins bien sonné. Il se déboucle et sort difficilement par la fenêtre. C’est douloureux et il ne peut pas marcher. Le chauffeur lui, n’a que quelques contusions. 

Mauvais temps pour eux deux, coincés en brousse, dans la forêt, loin de tout, avec Jamel, qui souffre du genoux, incapable de marcher.

Heureusement que le chauffeur retrouve son téléphone portable. Ils arrivent à joindre la police qui note leur position et déclare leur envoyer de toute urgence une ambulance et un infirmier. Mais ceux-ci n’arrivent qu’au bout de plusieurs heures. Jamel demande à être transféré à Dakar d’urgence, où il sait pouvoir compter sur IGIP, c’est-à-dire sur moi. Cependant dans un premier temps on se contentera de l’amener à l’hôpital de Ziguinchor, car il n’est pas bon de rouler en brousse la nuit : Divagation animale, brigands, vélos, voitures, camions, semi-remorques sans lumière. Il vaut mieux la nuit rester en ville, et attendre l’aube pour continuer en brousse.

Jamel passera donc la nuit allongé, sur un lit roulant dans le couloir, sans manger, ni boire. Il ne peut pas m’appeler car il a perdu son téléphone pendant les tonneaux. Le lendemain matin, il ne reçoit qu’une maigre pitance et un seul verre d’eau. Puis c’est le départ pour Dakar, où il n’arrive qu’en fin d’après-midi, sans avoir non plus ni bu, ni mangé. On le dépose à l’écart dans un coin de l’hôpital principal. Il a faim, il a soif, il n’a pas de téléphone. Il a vraiment besoin d’aide ! Un sénégalais sympathique qu’il interpelle, accepte d’appeler à mon numéro et je peux lui parler. J’habite juste derrière l’hôpital, et je m’y précipite. Je suis en face de lui, il s’accroche à mon bras, l’anxiété déforme son visage, et il ne respire que par saccades. Il m’implore : “Xavier, sauve-moi, s’il te plaît je t’en supplie ! Ne me laisse pas ici. “A boire, à manger ! S’il te plaît !”
C’est un véritable appel au secours. ”Ne me laisse pas là, s’il te plaît”.
“Ok Jamel, je vais t’acheter quelques victuailles, et je reviens”. A mon retour il a été transporté autre part. Attention l’hôpital est grand ! Il faut absolument que je le retrouve, sinon il ne passera pas la nuit. Au bout d’une demi-heure, je le retrouve mortellement inquiet, traumatisé. Je lui laisse les premières victuailles et une bouteille d’eau. Puis je remonte chez moi, je donne du khalis (de l’argent) à Sané le boy, pour aller chercher du dibit (viande grillée) et des frites (émincés de patates plongés dans l’huile bouillante). Puis je redescends à l’hosto, et reste auprès de Jamel. Il souffre de plus en plus du genou gauche et je ne peux pas le monter chez moi. Il va donc passer cette nuit encore dans un hôpital, sur un lit mobile, dans un couloir. Dur, dur…Mais cette fois-ci il vient  de boire, il a bien mangé, et son moral remonte. On discute un peu : « Et ton installation à Zig ? Est-ce que ta femme va venir te rejoindre ? Comment tu vois le job en Casamance ? » Puis il est l’heure d’aller se coucher. « Jamel, bonsoir et à demain, je vais dire à Sané de rester près de toi, cette nuit. Si tu as besoin de quelque chose, il sera là pour t’aider. Si tu veux me voir, il viendra me chercher ». « Slama , Xavier, merci de ton aide. A propos, demain matin je passe une visite médicale, j’y verrai plus clair, sur l’état de mon genou”. “Super ! Allez bonsoir, et bonne nuit, Jamel. Ne t’en fais pas, tu peux compter sur moi.” Le lendemain matin je le retrouve après sa visite médicale. Il a une fracture du genou. Selon le médecin, il faudra opérer le plus tôt possible. Jamel m’explique qu’il veut se faire opérer chez lui à Tunis et non pas ici, à Dakar, et il me demande mon accord.  Pourquoi pas ? Ç’est d’accord et comme il s’agit d’un accident du travail, je te prends le billet pour demain matin. “Sané, tu dors debout. Va te coucher.” ” Oui, Patron, j’y vais, merci Patron”. Jamel : ” Merci Sané, je te revaudrai ça. Quand ma femme sera là, nous t’inviterons à un couscous tunisien en Casamance ! 
”  
Chez moi, je retrouve DG, le factotum de notre programme, il va aller chercher le billet d’avion. Jamel est très content quand je le lui remets en main propre. En outre, je l’assure que quand il reviendra, il retrouvera son job en Casamance.                              .
Le lendemain matin, une ambulance est venue le chercher à l’hosto, je les suits, direction l’aéroport de Yoff. Sur son fauteuil roulant il passe en priorité aux formalités de police, d’enregistrement et de douane. Je l’accompagne, en souplesse je pousse son fauteuil directement jusqu’au bas de la coupée de l’avion. Soutenu par deux GPO, il arrive à se lever et à gravir les escaliers, un dernier signe de la main, réciproque, et il s’engouffre lentement dans la cabine. “Tchao, Jamel”. Je pense en moi-même qu’on risque de ne pas le revoir de sitôt. Maintenant il faut lui trouver rapidement un remplaçant, ingénieur de travaux, spécialité canalisations et génie civil. Ça ne court pas les rues ! Sauf que ! Bon Dieu, mais bien sûr mon ami Hervé Lerocher ! J’avais fait sa connaissance au Maroc, quelques mois auparavant, lorsque je rendais visite à mes collègues à Marrakech, pour suivre notre projet d’alimentation en eau des 450 villages, dont ils étaient en charge pour moitié. Je joignais l’utile à l’agréable, en partant de Casablanca pour Marrakech le jeudi à midi, en y travaillant le vendredi, en profitant du week-end le samedi-dimanche puis enfin  en rentrant à Rabat le lundi matin.  A Marrakech, je retrouvais en général Hajiba, le soir après le travail, puis après le restaurant et les boîtes de nuit, nous allions passer la nuit à l’hôtel de prestige, pour moi l’hôtel des milles délices, l’hôtel des mille et une nuits, l’hôtel ” le Marrakech“. Mustapha, mon chauffeur, connaissait un français qui tenait une pension de famille pour voyageur, dans le Guelliz, le quartier résidentiel construit par les colons, et un beau jour il me dépose à la porte de cet établissement. Avec Hervé Lerocher, nous avons assez vite sympathisé, et je prenais alors l’habitude de passer la nuit avec Hajiba dans son hôtel pour voyageur. Voyage pour le 7éme ciel, bien entendu. Nous avions de longues discussions sur notre projet des 450 douars (qui en général intéressait bien ses clients français), et à cette époque, mon intérêt se portait plus particulièrement sur le stockage de l’eau potable à domicile, dans les familles alimentées par nos forages et nos bornes fontaines. Outre l’appui qu’il apportait le soir à sa compagne Fatima N’zara, pour la gestion de son hôtel, Hervé dirigeait dans la journée son entreprise de fabrication de meubles métalliques : tables, chaises, fauteuils, bibliothèques, rayonnages, etc. Il employait une quarantaine d’ouvriers, pour la plupart des soudeurs.                     . 
Son principal client était Leclerc avec ses fameux magasins, auxquels Hervé expédiait régulièrement deux conteneurs de meubles par mois. Son ex-femme assurait les démarches nécessaires à Aubagne, où habitait sa mère. Jusqu’au jour où Leclerc refusait un de ses conteneurs, et annulait tout commande à venir, pour non-conformité aux prescriptions de son contrat. Coup dur pour Hervé, qui n’allait cependant pas tarder à rebondir : peu après l’obtention d’un contrat d’abris-bus à Tanger, permettait à Hervé de regarder vers l’avenir, et il y déménageait donc, sans délai, son atelier.                               .
Alors qu’il était encore à Marrakech nous faisions ensemble, dès que possible des excursions en 4×4 dans les montagnes du Haut Atlas, autour du lac du barrage de Lala Tagherkoust, lieu de vacances pour les touristes et de restauration et de détente pour les résidents, le week-end. Nous poussions parfois jusqu’à Agadir, mais aussi plus loin, jusqu’à Tan-Tan, aux confins du Maroc et de la Mauritanie. A l’approche de cette ville, la dernière avant la frontière, nous avions le choix, pour les derniers 40 km entre rester sur la Nationale, ou prendre la plage blanche, en roulant quasiment les roues dans l’eau de mer. Hervé était emballé par cette perspective, et le plaisir de pouvoir contempler, en roulant sur le sable humide, le coucher de soleil. Pour ma part j’estimais que ce serait une initiative fort imprudente, car nous n’avions aucune information sur les marées, n’avions jamais pratiqué ce trajet, et en cas de pépin comment changer une roue crevée, lorsque le cric s’enfonce dans le sable ? Et en cas d’enlisement, sans plaque de désensablement nous serions obligés de passer la nuit sur la plage, avec possiblement, en cas de marée haute la submersion donc la perte de nos véhicules. Certes nous avions, lui comme moi, l’habitude de rouler sur la plage au Sénégal, entre Dakar et Saint Louis ; mais en cas de problème nous pouvions compter sur les riverains ou les conducteurs des petites charrettes à deux roues et un âne, ou deux vaches, qui trafiquaient par la plage, jour et nuit, évitant ainsi les barrages de police et les douaniers sur la route nationale. Et de plus nous ne connaissions pas le régime des marées (à retirer avant le départ chez Martin Pêcheur à Dakar). Bon, tout le monde a compris. Le soleil a eu le temps de se coucher et nous terminons par la route goudronnée. A l’entrée à Tan-Tan, je suis derrière Hervé, qui prend une piste, à droite juste avant le pont. Après deux kilomètres de piste, nous apercevons une grande dune de sable, passant derrière des vestiges rafistolés de ce que j’identifie comme un ancien palais. Un couple d’amis d’Hervé y tient un hôtel pour voyageurs. Et nous allons donc nous restaurer et y passer la nuit ! Voire plus, parce que l’endroit est vraiment sympa. Nous parquons nos véhicules. D’autres 4×4, neufs, rutilants, sont déjà garés. Et aussi des caravanes.

Cet hôtel pour voyageurs est réellement bien placé, à l’entrée de Tan -Tan. Les touristes-voyageurs qui parviennent jusqu’ici ont en général un programme :                     : :
– pour les caravanes rester à Tan-Tan, ici ou en ville, et profiter du désert et de la mer. En effet ils ne peuvent pas passer en Mauritanie car la route goudronnée s’arrête à la frontière marocaine. Et de l’autre côté dans le no-man‘s-land, il y a quelques kilomètres de sable mou impossibles à franchir avec une caravane.                                      .                                      
– pour les 4×4, neufs et rutilants, le but est clairement de passer en Mauritanie, et le franchissement du no-man‘s-land, est la première difficulté et le point fort de leur périple. Ils seront bien servis : après le goudron, il y a une piste en latérite compactée, praticable par tous. Mais un km plus loin cette piste dure laisse place au sable mou. Encore 100 mètres difficiles, et tu arrives dans le fech-fech au lieu-dit “la bassine”! C’est là que tous les débutants s’enlisent. Et tous les matins, à la même heure une armée de “dépanneurs” les attendent, pour les sortir du sable au prix de quelques billets rouges. Dans l’hôtel, nous sommes accueillis à bras ouverts par un couple fort sympathique. Gérard le patron, un peu plus âgé que sa compagne Adeline, qui est dans la trentaine. Ils se sont bien trouvés tous les deux, ce sont manifestement des aventuriers, venus chacun de leur côté, avec son 4×4, se coller au coin du grand désert. Naturellement l’amour du désert et de l’aventure les prédestinait à se rencontrer ici à Tan-Tan, il y a deux ans lors d’un passage en douane, pour la Mauritanie. 

Après avoir bourlingué ensemble au Maroc, en Mauritanie, au Sénégal, et j’en passe, ils ont saisi l’opportunité de racheter ces ruines, et ont commencé à les retaper. Puis à recevoir des clients du type décrit ci-dessus. Avec leur briefing, et leur cours de conduite sur les dunes de sable, qui obsèdent tant les touristes, et que ceux-ci vont mettre en application immédiatement sur la grande dune d’en face, ils ont acquis une solide réputation auprès des routards, notamment ceux qui déboulent au volant d’un 4×4 tout neuf : ils veulent manger du désert ! Leur clientèle se développe rapidement. Justement demain matin, briefing à 6 heures et mise en situation dans le sable. C’est Adeline qui coach ! Elle se tient garée sur un méplat au tiers inférieur de la dune à côté de son propre tout terrain.  Ceux des touristes sont éparpillés, tous ensablés, et leurs propriétaires viennent les uns après les autres demander assistance à Adeline. Pourquoi sont-ils tous ensablés ? Parce qu’elle les a laissés se ruer sur le flanc de la dune, sans leur donner aucun conseil. C’est pour elle la meilleure méthode : Les mettre en situation, et leur faire vivre par eux-mêmes les difficultés. Par exemple, elle s’est abstenue de leur dire de dégonfler leurs pneus (sur la route 2,5 kg/cm², sur la dune 0,8 kg/cm²). Et  de ne pas insister quand le 4×4 commence à s’enfoncer dans le sable ; il faut d’abord dégonfler, puis utiliser les plaques de désensablement. Adeline circule d’un 4×4 à l’autre, en prodiguant maintenant ses conseils, et en sortant lorsque nécessaire, les véhicules du sable avec maestria. Finalement entre le briefing et les travaux pratiques, les conducteurs apprennent en peu de temps ce que d’autres mettent des mois à découvrir tout seul… Mais évidemment ces deux heures de travaux pratiques, ne suffisent pas à faire un bon chauffeur dans le désert. Une longue pratique, et l’enregistrement de toutes les informations pertinentes accessibles à nos cinq sens, telles que le sable, sa couleur, sa température, le vent, les ombres portées, les dunes, leurs pentes, stables ou instables, les pleins et les creux, le soleil et sa hauteur dans le ciel, les nuages, très rarement la pluie, avec des crues dévastatrices et aussi parfois les roses des sables.                                   . 
Au cours du repas de midi, les parisiens très excités après leurs exploits ce matin sur la dune, me demandent si j’ai déjà fait le trajet jusqu’à Dakar ?

“Oui, et plusieurs fois”.“Alors racontez-nous, s’il vous   plaît.“      

Et je le leur détaille, en agrémentant mon récit de quelques conseils.                       
« A l’arrivée à Tan-Tan, allez d’abord vous inscrire pour le prochain convoi vers la frontière. Puis faites le check-up. Le plein du réservoir d’essence et de bidons supplémentaires, le plein d’eau pour la boisson, compter dix litres par jour et par personne, et de la nourriture pour cinq jours. Bidon d’huile pour moteur et freins, eau pour le radiateur. Niveau d’eau, niveau d’huile tous les matins, avant de démarrer. Comme sur les chantiers. Le trajet s’effectue en deux jours, mais il faut être prudent. Plaques de désensablement, sangles de traction ou/et cordes, cric ou vérin, bassine en plastique, rustines et dissolution, pompe à main ou mieux petit compresseur, deux roues de secours, etc. Et pour les vêtements, casquette pour le soleil et pull-over et blouson pour la nuit. Tentes igloos, couvertures, lampes torches, téléphone satellite si possible ou radio BLU en option. Je précise que c’est à peu près la liste des équipements que j’avais en brousse lorsque j’étais expert hydraulicien au HCR (Haut-Commissariat des Nations Unies pour les réfugiés). Et maintenant des conseils pour rouler : Le trajet de Tan-Tan jusqu’à la douane, au moins 300 km, sur une petite route goudronnée, en convoi escorté par des militaires, la nuit passée sur un parking, à proximité de la frontière avec la Mauritanie et au petit matin, le passage en douane marocaine, toujours un peu stressant (les douaniers font leur métier, avec bienveillance ou non. Bien préparer vos papiers, répondre aux questions sans en rajouter, et en cas de problème, – ne pas prononcer le mot bakchich, ne pas demander combien – mais plus simplement tendre discrètement, sans un mot, un petit billet, et surtout ne jamais s’énerver ni être à l’origine d’un conflit, savoir lâcher prise, etc.). Au démarrage, après la douane, dans le no-man’s land, la première difficulté est le fech-fech au lieu-dit “la bassine”. Choisissez une trace et ne plus s’en écarter. Ne pas sortir de la direction générale de la piste, car il peut rester des mines posées lors de la guerre entre le Polisario mauritanien et l’armée marocaine. Si vous vous ensablez, vous pouvez appeler les dépanneurs. Payer les avec un ou deux billets rouges. Si possible, pas plus. Négocier, oui, mais c’est délicat, vous n’êtes pas en bonne position ! Si ça ne va pas, appelez un autre dépanneur, ils sont nombreux sur le bord de la piste.

Peu après ce passage délicat, vous aboutissez sur une petite route revêtue d’un goudron de coquillages. Et au lieu d’appuyer sur le champignon, attendez vos camarades pour rouler en groupe, sur 300 km jusqu’au lieu-dit “le bouchon” où vous devrez vous faire enregistrer dans un petit bureau du service des douanes mauritaniennes. La douane ferme à 17 h. De toute façon, les douaniers vous obligeront à dormir sur place. Sauf exception aller de nuit à Nouadhibou (10 km) est interdit. C’est un moyen de faire marcher les petits commerces gérés par les familles des douaniers. Vous trouverez donc sur place, un petit service : Boissons sucrée, eau en bouteille, bières, brochette …à des prix forcément prohibitifs, que vous serez malgré tout heureux de payer. Puis vous passerez la nuit sur place, tout contre vos véhicules fermés à clé. La douane ouvre le lendemain matin à 8h. Alors vous avez le choix, à droite Nouadhibou à 10 km, ou tout droit Nouakchott, la capitale à 400 km, avec tout le confort (hôtel, stations-services, postes, téléphone international…) mais normalement au restaurant on ne sert pas d’alcool. Sauf que moyennant un petit pourboire, on déposera discrètement une boîte de bière recouverte d’un papier chocolat, au pied de la table.                             .
Les douanes mauritanienne et sénégalaise sont situées de part et d’autre du fleuve Sénégal. Comme on traverse le fleuve sur un bac, c’est un embouteillage indescriptible, un gros bordel. Garez-vous au bout de la file d’attente des voitures et des camions. Allez à la douane pour les formalités de sortie de la Mauritanie (mêmes conseils que pour la douane marocaine). Le mieux est d’accepter l’offre de service que vous propose un “guide local”. Négocier avec lui son prix, et si vous êtes pressé, demandez-lui de vous faire passer en tête de la queue (le fameux tête à queue). Mais il faudra glisser discrètement au surveillant responsable de la queue un gros billet rouge… Et faites attention à votre portefeuille. N’exposez pas vos billets au regard des autres. Montez dans votre voiture quand vous devez payer le guide. Mais pourquoi vous presser ? Jouissez plutôt de cet instant sublime, que vous n’oublierez jamais. Débarrassez-vous de tous les préjugés, laisser votre mental de côté, lâchez prise, et jouissez de ces nouvelles sensations que vous captez par la vue, le bruit, l’odorat, le goût et peut être bientôt… le toucher. Inch Allah ! En embarquant sur le bac, vous êtes ici et maintenant, sur le fleuve Sénégal, au lieu précis de la rencontre de deux mondes : Les Noirs et les Blancs, les musulmans et les chrétiens et encore plus au sud, les animistes.

En débarquant, premier contact, votre premier jour en Afrique Noire ! Vous voilà au cœur de votre voyage-aventure ! Profitez-en pour observer, c’est un lieu haut en couleur, laissez-vous porter par l’ambiance, discutez avec les locaux, jouez avec l’enfant noir qui passe pour vous voir. Arrivés à Saint Louis, vous sortez du désert et la forêt n’est pas loin. Les parisiens me remercient sincèrement de mes explications, et là-dessus Hervé propose une petite balade dans les environs sableux et rocheux.

Nous sommes sur un plateau incliné qui descend lentement vers l’océan. Nos trois 4×4 (12 personnes) remontent le plateau. Partant de dunes en pente douce, près de la mer, le relief s’accentue et dans la zone de transition entre la plaine et le plateau, les dunes se redressent et se raccordent plus haut au socle rocheux plus abrupt.

Lors des dernières pluies l’érosion très active dans le sable a creusé des défilés étroits et profonds, des “koris” comme on dit au Niger. Nous rencontrons, à faible distance de l’hôtel, un lit de rivière, à sec. A sec ? 

Ici oui, mais plus haut ? Je n’ai aucune envie de me retrouver piégé, avec mon 4×4 au fond d’un kori. Cependant, malgré mes objections, Hervé et les Parisiens restent partisans de remonter ce cours d’eau. J’insiste. Je vois bien que le cours est à sec ici sur le socle rocheux, mais je pense qu’on risque de s’enliser en le remontant et en pénétrant plus avant dans le kori. J’explique mon opinion, et en plus si on s’enlise…bla, bla, bla…et finalement, je décide de retourner tranquillement à l’hôtel. Hervé et ses parisiens sont toujours fans pour remonter le kori.

Une heure après voilà Hervé qui revient tout seul à l’hôtel sans les Parisiens :

” Ils se sont enlisés en essayant de traverser plus haut le cours étroit de la rivière apparemment à sec en surface. Mais leur 4×4 s’est enlisé grave ! Enfoncé dans la boue sous-jacente, qu’ils auraient dû deviner à la vue des traces d’algues vertes répandues sur le sable. La traversée était si courte (deux fois la longueur du 4×4) qu’il n’y avait, pensaient-ils aucun risque de s’enliser. Avec un peu d’élan, leur 4×4 s’est rué dans le lit et…s’est planté grave dans la vase épaisse, le châssis posé sur le sol boueux. Enlisé jusqu’aux moyeux ! Avec sa sangle à traction Hervé a essayé de les sortir de là, mais pas moyen, tout seul son véhicule n’a pas assez de puissance. Alors il vient me chercher. A deux, ça devrait aller mieux. Ok, j’arrive, et Hervé va prendre une corde en plus ça peut toujours servir ! On arrive à la rivière, où on trouve les gars bien déprimés. On arrime leur 4×4 enlisé aux deux nôtres et Hervé et moi nous mettons en position, pour tirer ensemble, bien synchronisés en marche arrière. De son côté, le parisien propriétaire monte dans son véhicule. Tous les trois, on met les crabots (les 4 roues motrices), on passe chacun la marche arrière, on se fait signe et on commence à tirer en montant progressivement le régime des moteurs.  m.
Aucun effet sur le 4×4 enlisé. On accélère à fond, toujours rien, on essaye de monter à plein régime, les embrayages patinent. Chacun débraye à fond, pour accélérer son moteur à pleine vitesse et relâcher d’un coup la pédale ; rien, rien, rien. Ça ne marche pas, on ne peut pas continuer car on risque de bousiller nos embrayages. Rideaux, tout le monde descend. Les Parisiens sont particulièrement déprimés. Nous, nous sommes bien embêtés pour eux. Il n’est pas du tout évident de trouver à Tan-Tan, un camion à 4 roues motrices pour nous venir en aide. D’ailleurs il est déjà trop tard. Que faire ? D’abord coucher ici pour garder le véhicule, et après ? Aller chercher, ou faire venir d’Agadir un camion de dépannage ? Le désespoir s’installe dans la tête des Parisiens. Ça me rappelle un dicton de gamins en Provence : “Parisiens têtes de chiens, parigôts têtes de veaux !”. Ç’est pas vraiment très marrant ni très compatissant…
Mais, soudain j’ai une idée un truc d’enfer à tenter. Une idée de foreur de forage d’eau ! Je demande qu’on se remette tous les trois en place, pour une dernière tentative. Cette fois-ci on ne va pas jouer sur les embrayages, juste Hervé maintiendra, comme je le lui demande, une tension aussi forte que possible sur la corde. Sur un signe les trois moteurs démarrent. Mais moi au lieu de tirer en arrière, j’avance doucement d’un mètre. J’imagine que les autres me prennent pour un dingue. Qu’importe. Banzaï ! J’enclenche maintenant la marche arrière, et j’accélère à fond, je mets toute la gomme, en reculant. Ma corde se tend brutalement, le choc est fort mais…devant moi, le 4×4 enlisé subit lui aussi un gros choc qui le tire vers l’arrière. Il bouge un peu. Je recommence avant-arrière une fois encore, et de son côté Hervé qui a compris maintient la tension. Le véhicule enlisé commence à émerger de la boue…. AV, AR une fois encore le châssis s’est décollé de la succion de la boue…AV, AR une fois encore…une fois encore, une fois encore, le véhicule sort progressivement de la boue, ses roues arrière accrochent sur le sol sec. C’est gagné. AV, AR une dernière fois, le véhicule est sorti de la boue, sur la terre ferme, sorti d’affaire. Les visages s’éclairent.                               . 
Dans les voitures trois pouces en l’air !                                             ! 
Nous replions les cordes, rentrons à l’hôtel. Ouf, on peut aller boire un verre. Question : Que vient faire le foreur d’eau dans cette affaire ? Le foreur d’eau c’est moi. J’avais appris la technique pour dévisser deux tuyaux filetés trop fortement serrés. N’arrivant pas à les dévisser, avec une clef à griffe dans chaque main, je dois maintenir ma force de traction, disons plutôt de rotation, constante dans le sens du dévissage, et comme ça ne dévisse toujours pas, demander à un collègue de tapoter avec un gros marteau à plusieurs reprises à côté de la jonction. Et tout d’un coup ça dévisse ! Dans le cas présent, la traction constante c’est la corde d’Hervé, le marteau c’est moi avec mon 4×4 et ses AV-AR.

Maintenant, revenons au projet d’alimentation en eau des onze villes régionales du Sénégal. Après appel d’offres deux entreprises sénégalaises et une chinoise ont été sélectionnées pour la réalisation des travaux. Il s’agissait de la construction de onze châteaux d’eau surélevés et de la réalisation de onze forages d’exploitation et donc de onze stations de pompage débitant chacune dans un réseau de canalisations alimentant chacune des onze villes. Pour les activités de contrôle, Leblanc, assisté de Lamine Diop, a la charge de la zone Nord tandis que Lerocher intervient pour trois villes de la zone Sud (la Casamance). Quant à moi j’assure la gestion du projet et dirige les réunions hebdomadaires de coordination, dont je rédige et signe les rapports que je fais signer par les entreprises. Les faits saillants du déroulement du projet qui me reviennent en mémoire sont les suivants. Une des deux entreprises sénégalaises a été dessaisie du programme par défaut de mise en œuvre de moyens de réaliser des travaux de qualité dans le temps imparti. En effet cette entreprise défaillante avait quasiment arrêté les activités sur les chantiers qui lui avaient été confiés, ou alors utilisait des moyens dérisoires, approvisionnant son chantier avec des ânes et des charrettes. J’ai donc déclaré cette entreprise défaillante. Les travaux qui lui étaient dévolus ont été confiés à l’autre entreprise sénégalaise dans la zone de Ziguinchor. Dans cette zone, les poteaux en béton d’un des réservoirs ont été construits de travers et ont dû être démolis et refaits correctement. Les cuves de réservoirs avaient été dessinées en forme de cône renversé, avec une pente intérieure suffisamment modérée pour qu’un seul coffrage soit utilisé : Le béton durcissant en place sans glisser sur le coffrage extérieur, le second coffrage intérieur n’était pas nécessaire ce qui simplifiait beaucoup la construction. S’agissant des canalisations en tranchées, lorsque le terrain à creuser était dur les ouvriers disposaient le soir des pneus sur le sol, et les arrosaient de mazout. En brûlant toute la nuit, leur chaleur ramollissait le sol, du coup plus facile à creuser à la pelle. En effet pour générer de l’emploi dans la région, le terrassement par les engins mécaniques n’était pas autorisé.                             .
Sur un de leur chantier les Chinois ont employé une méthode peu courante pour faire tomber un vieux château d’eau afin d’en construire un neuf à sa place. Ils détruisaient au marteau piqueur la moitié de l’épaisseur de béton de trois des quatre poteaux sur une hauteur d’une trentaine de centimètres à leur base et la totalité de l’épaisseur sur le quatrième, et ils inséraient à la place du béton enlevé un morceau de bastaing en bois vertical. Ainsi, le château d’eau était fragilisé mais toujours debout. Il mettait ensuite le feu au bastaing et à la fin de sa combustion, le château en entier s’écroulait d’une seule pièce. Très spectaculaire ! Méthode ancestrale mais astucieuse qui permettait de gagner beaucoup de temps par rapport à une démolition classique, dangereuse et lente au marteau piqueur sur toute la hauteur.                                         . 
Lors du coulage de la cuve du réservoir, sans coffrage intérieur, le béton a parfois tendance à glisser (notamment s’il est trop humide) mais il suffit de remonter à la taloche les volumes écoulés. De nombreux talocheurs sont nécessaires mais le résultat est correct. Le coulage du béton se fait sans arrêt ; en continu, pour éviter les reprises. Un travail jour et nuit est nécessaire, qui a parfois duré 48 heures d’affilée. Lorsqu’ au décoffrage externe, on découvrait des trous, ils pouvaient être bouchés avec emploi d’un béton avec adjonction d’une résine. Pour éviter de multiplier les grues pour délivrer le béton dans la cuve, les deux entreprises ont installé des ascenseurs à treuil entre les montants verticaux des coffrages. Ce qui est plutôt dangereux. Les ouvriers le savaient, et préféraient monter par des escaliers aménagés entre les montants : seules les brouettes et moi prenions l’ascenseur.

Quatre brouettes à charger par voyage. Arrivées en haut elles sont sorties de l’ascenseur et remplacées par les quatre brouettes vides de la fournée précédente. Des manœuvres tirent les pleins vers des goulottes en tôle dans lesquelles le béton est déversé. On commence à couler par le bas des coffrages, et le niveau du béton se met en place puis s’élève progressivement à la cadence de ceux qui, avec leurs pelles le poussent vers le bas hors de la goulotte. Alors les équipes de talocheurs en affinent la compacité et le profilage sur une épaisseur de vingt centimètres, et une largeur de l’ordre d’un mètre de part et d’autre de la goulotte ; que l’on remonte ensuite pour la déplacer en vue du prochain coulage sur deux mètres de largeur sur la circonférence du haut de la cuve. Les quatre brouettes pleines sont entre temps arrivées pour la coulée suivante. Et ainsi de suite, deux mètres par deux mètres on fait le tour complet de la circonférence. La cuve est alors entièrement bétonnée. C’est un travail qui doit être effectué en continu sans arrêt jusqu’à ce que le tour complet soit effectué et le ragréage avec le béton de la première coulée effectué. Des bâches sont ensuite mises en place sur le béton humide pour faire écran à l’évaporation de l’eau et favoriser ainsi son durcissement progressif, indispensable à l’obtention d’une bonne résistance finale du béton..
Il faut donc beaucoup d’ouvriers spécialisés pour effectuer, dans l’ordre toutes ces tâches. Ici, ce soir ils sont une quarantaine dans la tulipe du réservoir, dont un chef de chantier expérimenté. Ç’est, on le comprendra un travail très physique, jour et nuit, et les musculatures ruissellent de sueur malgré la fraîcheur nocturne toute relative en Afrique. Qui n’a pas assisté au moins une fois à cette séquence ne peut pas avoir une compréhension réelle de son travail de contrôleur, et de celui de l’entreprise. Ç’est malheureusement le cas de certains Maîtres d’Œuvre qui ont peur d’aller voir en haut, comment ça se passe. Et finalement les onze châteaux d’eau ont été ainsi réalisés correctement dans les délais. Je ne pense pas qu’en France on aurait été autorisé à employer de telles méthodes, mais ici, au Sénégal… Ç’est l’Afrique, Patron ! 

S’agissant du personnel, les chefs de chantier étaient chinois. L’un d’eux toutefois était sénégalais et parlait à la fois le wolof (sénégalais) et le chinois. Tous les ouvriers étaient sénégalais. Durant les réunions, parfois un peu rudes, il arrivait à la responsable chinoise du projet de se mettre à pleurer. Enfin, pourquoi ne pas le dire, les ingénieurs de la Sones trouvaient qu’avec mon blue-jean et mes baskets je faisais preuve d’une expérience professionnelle que les encravatés pouvaient m’envier. 

Ce qui n’empêchait pas que pour exercer mon contrôle, je dormais de temps à autres sous une tente à côté du chantier, avec Maïmouna pour s’occuper de la nourriture, de la cuisine et du patron, bien sûr.
Là, il ne pouvait s’agir pour moi que d’un déplacement exceptionnel, pour assister à la coulée de la tulipe de la cuve, étape la plus importante de la construction d’un réservoir d’eau. Pour le suivi au jour le jour, je savais pouvoir compter sur l’expérience et la compétence de Leblanc, Lamine et Djamal. Je rentre à Dakar pour y poursuivre la gestion globale du projet. Avec toutes les deux semaines une visite des chantiers de forages, pertinente pour l’ancien DG de la Sonafor.

Enfin, IGIP nous envoyait en mission tous les trois mois, un expert en électromécanique pour vérifier les armoires électriques des stations de pompage et corriger ce qui devait l’être. Comme ne pas tourner les vis dans le mauvais sens, par exemple. 

                              !

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